Les migrants en transit, des jeunes « nomades » qui traversent la Belgique…


Constats de terrain d’un accompagnateur interculturel sur la province de Namur

Introduction

Durant les mois de juin et juillet 2021, Rahmi, un accompagnateur interculturel du Centre d’action interculturelle de la province de Namur (CAI), a été chargé d’encadrer un nouveau travailleur engagé en tant que facilitateur interculturel pour la communauté érythréenne. Cette tâche d’encadrement au sein des collectifs citoyens a permis à Rahmi d’observer, d’une part, la réalité vécue quotidiennement par les migrants en transit aidés par des collectifs citoyens et, d’autre part, le travail à effectuer par le facilitateur interculturel.

Ce travail est complexe et demande une adaptation permanente concernant l’approche à adopter face au public cible. En effet, il est nécessaire de faire preuve d’une importante diplomatie ainsi que de bienveillance dans les interactions avec les bénévoles composant les collectifs citoyens. Ces derniers, face à la réalité vécue par les migrants en transit, se sont très vite mobilisés et engagés afin de subvenir à leurs besoins primaires.

Par migrant en transit, nous entendons des migrants en route pour l’Angleterre, étant de passage par différents pays européens dont la Belgique. Parmi ces migrants, beaucoup sont originaires d’Erythrée. Rahmi a également rencontré des personnes originaires d’Ethiopie, du Tchad et du Soudan. Etant donné que notre facilitateur interculturel a été engagé spécifiquement pour la communauté érythréenne, cette analyse se concentre spécifiquement sur cette dernière.

LA SITUATION AVANT L’ÉMIGRATION

Il nous semble intéressant d’essayer de comprendre les raisons poussant autant de personnes, majoritairement des jeunes hommes de 15 à 25 ans, à quitter leur pays. En effet, leur départ les conduit sur des routes migratoires risquées, empreintes de beaucoup de violence, avec le but ultime d’atteindre leur destination de « rêve », l’Angleterre. Sur ces routes migratoires, nombre d’entre eux se retrouvent dans des situations extrêmement violentes telles que l’exploitation en Lybie en tant qu’esclave, parfois pendant des années. Ils font également face au racisme dans les différents pays traversés (entre autres, le Soudan, la Lybie, l’Italie et la Suisse avant d’arriver en Belgique). Enfin, pour traverser la Méditerranée, les migrants doivent s’acquitter de sommes astronomiques auprès de passeurs.

Chaque parcours migratoire est unique, certains arrivent par la Turquie, d’autres la Grèce, d’autres encore par la Macédoine ou la Serbie. La plupart demande l’asile en Allemagne et se retrouve finalement en Belgique l’année suivante. Une fois en Belgique, avec l’idée en tête de rejoindre l’Angleterre, ces migrants se font aider par les bénévoles des collectifs citoyens.

La raison de ces migrations en provenance d’Erythrée est simple : la guerre opposant l’Ethiopie à l’Erythrée. Auparavant, L’Érythrée était une province éthiopienne, annexée par l’Éthiopie en 1962. Au terme d’un long conflit, de 1961 à 1991, l’Erythrée a obtenu son indépendance en 1993. Actuellement, l’Ethiopie revendique à nouveau l’Erythrée. De ce fait, le service militaire en Erythrée est obligatoire mais surtout, à durée indéterminée. C’est pourquoi de nombreux jeunes hommes fuient le pays afin d’éviter la guerre à laquelle ils sont obligés de prendre part.

Concernant l’Erythrée, la langue parlée est le tigrinya. Du point de vue de l’éducation, le niveau scolaire ne dépasse pas le CESI (en termes de comparaison avec le niveau d’étude en Belgique) avec comme raison l’obligation du service militaire à partir de l’âge de 15 ans sans date de fin. La formation et l’emploi en Erythrée se résument au service militaire à durée indéterminée. En ce qui concerne la religion dans le pays, la majorité des Erythréens sont de confession orthodoxe, mais il y a une minorité de catholiques et de musulmans présents dans le pays.

La migration Erythréenne est donc une migration très jeune et différente des autres vagues qui étaient provoquées par des raisons socio-économiques. Nous pourrions qualifier cette immigration de « nomade », car elle bouge en permanence, et ne souhaite pas s’installer ailleurs qu’en Angleterre. 

LA DÉCISION DE MIGRER ET LE PROJET MIGRATOIRE

Dû au conflit entre l’Erythrée et l’Ethiopie et par extension l’obligation du service militaire à durée indéterminée, l’instinct de survie pousse la jeunesse Erythréenne à fuir l’horreur vécue au sein du pays depuis les années 2014-2015.

D’après les explications des migrants en transit rencontrés, les jeunes filles doivent également prendre les armes. Si elles ne le font pas, elles sont sommées d’enfanter afin de « produire de futurs militaires » pour « servir la cause ». Pour les jeunes filles, la route migratoire est d’autant plus difficile car elles sont confrontées à la prostitution forcée.

Pourquoi cette obsession de l’Angleterre et non un autre pays européen ?

Cette décision pour l’Angleterre semble être essentiellement composée de trois raisons :

  • Une fois que le migrant arrive à mettre ses pieds sur le sol anglais, il aura automatiquement un titre de séjour.
  • La connaissance de la langue, l’anglais.
  • L’emploi est plus facile à trouver là-bas.

Les trois raisons susmentionnées constituent les motivations échangées dans le réseau interne de la communauté Erythréenne. Celles-ci deviennent un mythe faisant passer l’Angleterre pour l’Eldorado à atteindre à tout prix. Or, les lois commencent à se durcir en Angleterre, rendant l’immigration davantage complexe une fois la destination atteinte et les emplois disponibles ne sont très souvent que précaires.

 

L’ADAPTATION AU PAYS D’ACCUEIL ET LE CHOC MIGRATOIRE

Parmi les migrants Erythréens rencontrés, deux types de profil se dessinent :

  • Le migrant toujours en transit pour l’Angleterre,
  • Le migrant qui décide de demander la protection internationale pour rester en Belgique et s’y établir.

Pour le premier profil, leur but est de monter dans un camion clandestinement afin d’atteindre Calais et à partir de là, rejoindre l’Angleterre en bateau. Cependant cette tâche n’est pas aisée car les contrôles sont stricts et les chauffeurs routiers sur leur garde. Souvent, lorsqu’ils ont des soupçons, ils préviennent la police locale de Calais. Une fois arrivés sur place, la police intercepte les clandestins et ce, souvent de façon très violente (violences physiques, gaz lacrymogène, etc.). Rahmi a rencontré, au sein des collectifs, un jeune migrant ayant perdu un œil suite aux violences policières subies. Il n’est également pas rare que les migrants reviennent avec des membres cassés : soit en tombant d’un camion, soit suite à des violences policières.

Concernant le deuxième profil, les migrants décidant de faire une DPI pour s’installer en Belgique, leur décision est basée sur l’accumulation d’échecs et de souffrances vécus durant les nombreuses tentatives d’atteindre l’Angleterre. Le migrant baisse alors les bras et décide de tenter une DPI en Belgique. Cette décision est donc généralement un dernier recours.

D’après les discussions menées, le plus difficile à vivre pour les migrants est l’incertitude permanente vécue ainsi que les traumas vécus lors de leur parcours migratoire. Ces derniers constituent souvent, entre autres, les raisons d’addictions diverses. En effet, la consommation d’alcool et de drogues sont omniprésentes chez ce public. Ces consommations provoquant des états seconds sont sources de conflits entre eux mais constituent également une source de tension avec la population locale qui assistent à des comportements déviants sans connaitre les raisons. Les préjugés et le racisme surgissent alors.

Les liens créés avec les bénévoles  

Les migrants en transit créent de solides liens affectifs avec les bénévoles des collectifs. Ils apprécient énormément l’humanité, la bienveillance et la solidarité dont font preuve ces derniers. Les migrants désignent les bénévoles par des surnoms tels que « maman », « mamy », aux bénévoles plus âgées.

Cela représente pour eux une marque de respect. Ces dernières les voient également comme leurs enfants.

Malgré les différences culturelles, une sorte de famille se constitue grâce l’entraide des bénévoles. Ces liens affectifs sont consolidés par le fait que les migrants ont rarement la possibilité d’entrer en contact avec leur famille : les endroits d’où ils sont originaires ne sont souvent pas équipés de connexion internet. Leur unique moyen d’avoir des contacts avec est la Croix-Rouge de Belgique qui mène des actions de reconnexion familiale en donnant la possibilité aux migrants de contacter leur famille par téléphone satellite.

Cependant, en tant que professionnel, il est important de baliser directement les limites de ses actions car ce public spécifique a d’énormes besoins ne pouvant malheureusement pas tous être comblés au vu des réponses structurelles encore inexistantes.

LA VIE ACTUELLE EN BELGIQUE

Relations intracommunautaires et santé mentale :

La santé mentale des migrants en transit est en péril.

En effet, ces derniers sont très souvent confrontés à des tensions au sein des lieux d’accueil, sur les parkings. Ils sont parfois victimes de violences policières et la consommation d’alcool et autres substances est monnaie courante. Tous ces facteurs créent de nouveaux traumas qui se superposent à d’autres traumatismes vécus pendant les années de traversée avant d’arrivée en Belgique.

Insertion socioprofessionnelle :

Concernant les Migrants en Transit, ils ne sont pas dans l’optique de rester et de travailler en Belgique. Les collectifs des citoyens qui ont une structure d’accueil leur permet de s’installer, de se reposer, de manger, de boire, prendre une douche, charger leur gsm. Le quotidien des jeunes est d’attendre le soir pour trouver le camion qui pourra les emmener en Angleterre. En ce qui concerne les collectifs des citoyens qui n’ont pas de structure d’accueil, les migrants sont hébergés par des membres bénévoles des collectifs. 

En ce qui concerne les Erythréens qui ont le statut de réfugié, il existe de nombreux freins à l’insertion dans une formation qualifiante ou un emploi.

Et ce, pour plusieurs raisons :

  • Ils ont dû quitter l’école quand ils avaient 15 ans sans avoir l’opportunité d’accéder à un métier.
  • Ils n’ont pas nécessairement travaillé pendant leurs parcours à part du travail polyvalent pour récolter de l’argent et payer le passeur.
  • Ils n’ont pas une idée claire de ce qu’ils veulent faire.
  • Il y a la barrière de la langue.
  • Il y a les exigences des opérateurs d’ISP, les tests d’admissions sont très compliqués pour ces jeunes.

Pour leur intégration sur le marché de l’emploi en Belgique, Il y a un double travail à faire…

Premièrement, il faut co-construire le projet professionnel des jeunes sur base des acquis qu’ils ont pu obtenir dans leurs trajectoires de vie, et ce en prenant en compte leur parcours et tout leur vécu.

Deuxièmement, il est nécessaire de sensibiliser les opérateurs d’ISP tels que les CISP et EFT sur les conditions d’admission qui sont parfois exigeantes pour de tels publics, tout en renforçant les modules de « pré-ISP » qui permettent de préparer ces publics pour une entrée en formation chez un acteur d’ISP.  

Ce travail d’accompagnement global et plus spécifiquement sur l’ISP et de sensibilisation doit se faire via une bonne triangulation avec le réseau des bénévoles. Chaque acteur – le migrant, le bénévole, l’accompagnateur ou l’acteur ISP soit connaître son rôle et sa complémentarité avec les autres intervenants. Souvent, les bénévoles, bien que pavés de bonnes intentions, sont dans un lien émotionnel fort avec les jeunes et souhaitent les faire évoluer rapidement vers une intégration. Hors cette dernière peut prendre plus de temps que pour n’importe quel autre jeune d’une autre culture ayant vécu l’exil.





Un réfugié est un réfugié…

Un réfugié est un réfugié…

Le CAI ne peut que se réjouir et saluer les initiatives d’accueil et de solidarité envers les réfugiés ukrainiens, développées par l’Europe et la Belgique plus particulièrement.
Les dirigeants politiques ont pris des mesures fortes, positives et responsables pour ouvrir leurs frontières, assouplir des procédures et organiser l’accueil de ces personnes qui fuient la guerre.
Les citoyens aussi font preuve d’un humanisme et d’un dévouement sans faille en organisant des collectes, des transports depuis la Pologne et en accueillant même des citoyens ukrainiens chez eux.
Après une crise sanitaire et des inondations qui ont touché une grande partie de la population wallonne, ça fait chaud au cœur de constater que tout se fait sans se poser de question, presque « naturellement » oserait-on dire.

Mais c’est tout de même étonnant…

Etonnant parce que depuis 2015, c’est une tout autre voie qui se traçait pour l’accueil et l’asile des réfugiés.

Ainsi, nous avons assisté :

– à la naissance d’initiatives citoyennes pour prendre en charge cet accueil (plateforme) des réfugiés syriens ;
– aux fermetures des frontières européennes et à la sous-traitance de la gestion des flux migratoires par des pays peu respectueux de la convention des droits humains ;
– aux milliers de personnes qui se sont noyés en Mer méditerranéenne, qui ont été renversées sur les routes ou encore qui sont mortes asphyxiées dans des remorques de camion ;
– aux hot spot en surcapacité dont les conditions de vie sont immondes, bien loin de la décence et de la dignité humaine ;
– au démantèlement de Calais et, avec elle, la migration de transit le long de l’E42 qui obligent celles et ceux qui veulent rejoindre l’Angleterre à dormir dans les bois et à tenter, à nouveau, un voyage au péril de leur vie ;
– à la non régularisation de milliers de personnes sans papiers, qui n’ont accès à aucun droits fondamentaux ni à aucune protection sociale mais qui pourtant, contribuent à l’économie belge (1 % du PIB selon les estimations) et ce, depuis plusieurs années.

Avant que Poutine ne déclare la guerre à l’Ukraine, pour rappel, l’Etat belge avait été condamné par la justice parce qu’il ne respectait pas ses engagements en termes d’accueil (et particulièrement les MENA, mineurs étrangers non accompagnés). Beaucoup de réfugiés, des familles avec enfants, se trouvaient dans les rues, à dormir à même le sol.

De nombreuses associations de terrain tirent régulièrement la sonnette d’alarme. Elles demandent, sans relâche, une politique plus humaine, plus conforme aux valeurs défendues par l’Union Européenne et plus respectueuse des engagements vis-à-vis de la convention de Genève. Aujourd’hui, l’Europe et la Belgique montrent que c’est effectivement possible. Nous espérons vraiment que cet élan va provoquer non seulement une prise de conscience à tous les étages de la société par rapport au traitement réservé habituellement aux réfugiés, mais aussi l’organisation par nos responsables politiques de réelles structures d’accueil et d’accompagnement de toutes les personnes qui sont sur notre territoire. Parce qu’en effet, pour le CAI, un réfugié est un réfugié… Peu importe la région d’où il vient.  

 




Manifestation pour la régularisation des sans-papiers de Belgique

Communiqué

Première manifestation nationale
“WE ARE BELGIUM TOO” le 3 octobre 2021

Dans le cadre de la campagne « We are Belgium too », la Coordination des Sans-Papiers de Belgique, Sans-Papiers TV et leurs partenaires co-organisent une manifestation nationale le dimanche 3 octobre 2021 à la Gare du Nord de Bruxelles, à partir de 14h.

La campagne « We are Belgium too » a pour objectif de reclamer la régularisation des personnes sans-papiers qui se trouvent en Belgique sur base de critères clairs et permanents. Elle est soutenue par plus d’une centaine d’associations partenaires francophones et néerlandophones listées sur le site web www.wearebelgiumtoo.be

Après avoir lutté pendant plus de six ans sans ne jamais avoir été entendue par les autorités politiques en charge de la migration, la Coordination des Sans-Papiers de Belgique s’est adressée aux citoyen.ne.s belges, qui sont leurs ami.e.s, leurs voisin.e.s et leurs collègues de travail, par le biais d’une lettre ouverte et d’une pétition lancée le 10 mars 2021. Au moment où s’écrit ce communiqué, 45.251 citoyen.ne.s de ce pays ont deja signé la pétition et ont  exprimé ainsi leur soutien à la régularisation des personnes sans papiers de Belgique. Ce n’est qu’un début. Les instigateurs de la campagne attendent de tou.te.s les citoyen.ne.s qu’ils prennent position à leur tour en faveur du respect des droits humains des personnes sans-papiers de Belgique.

Par cette campagne, nous entendons exprimer haut et fort ce que les autorités politiques semblent vouloir refuser aux personnes sans-papiers de ce pays: le sentiment de bel et bien appartenir à ce pays et de participer à construire son histoire actuelle. N’en déplaise à certain.es: “We are Belgium too”!

Pour rappel, étant exclus du système d’aides sociales, la majeure partie des personnes sans-papiers de ce pays travaillent au quotidien, et la plus part du temps sans protection sociale ni filet de sécurité en cas de perte d’emploi. Sans reconnaissance légale, ils se retrouvent régulièrement à la merci d’employeurs véreux.ses et de marchand.es de sommeil. De plus, leurs soins de santé ne sont pas remboursés, sans parler du fait que les femmes sans-papiers sont exclues des dispositifs de protection des violences liées au genre. Enfin, les droits fondamentaux des enfants sans papiers ne sont pas non plus respectés.

Nos revendications

En conséquence, les instigateurs de la campagne “We are Belgium too” revendiquent la régularisation des personnes sans-papiers qui se trouvent sur le territoire sur base de critères clairs et permanents inscrits dans la loi de 1980, ainsi que l’instauration d’une commission de régularisation independante. Ces critères clairs et permanents sont les attaches sociales durables, le travail, l’inéloignabilité et le risque d’atteinte à un droit fondamental en cas de retour.

Aujourd’hui, au nom de cette mobilisation nationale d’envergure et face à l’urgence de la situation, la Coordination des Sans-Papiers de Belgique, Sans-Papiers-TV et leurs partenaires organisent le dimanche 3 octobre 2021 à 14h à la Gare du Nord de Bruxelles une manifestation nationale dans le cadre de la campagne « We are Belgium too ». Venez vous joindre à nous!

La Coordination des Sans-Papiers de Belgique, Sans-Papiers TV et les partenaires de la campagne WABT

Porte-paroles:

  • Abdul Azim Azad : 0466/44.63.63
  • Maria Freire : 0455/10.25.75
  • Bintou Touré : 0466/28.14.42
  • Serge Bagamboula : 0493/29.19.74




Pandémie et personnes migrantes : quelles mobilisations citoyennes ?


 

Conférence du Samedi avec Joachim De Belder

Chargé de projet à l’Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations (IRFAM)

– 27/02/2021

Depuis près d’un an, la pandémie de Covid-19 déstabilise la société dans son ensemble. Toutefois, certaines populations sont particulièrement impactées. En raison de leurs parcours migratoires ou de leurs situations administratives, la condition de nombreuses personnes exilées se caractérise par un accès limité aux ressources (matérielles, financières) et aux droits économiques, sociaux et culturels (travail réglementé, logement, services sociaux, sécurité sociale, santé). Cette crise sanitaire et sociale a eu pour premier effet d’exacerber les inégalités structurelles fondées sur les rapports sociaux de classe, de genre, de race, mais également de validité du titre de séjour. Sur base des travaux menés par l’IRFAM en 2020, nous mettrons en mettre en lumière l’impact socio-économique de la pandémie pour les personnes migrantes, en nous intéressant particulièrement aux modes de gestion locale de la crise et aux réponses solidaires élaborées par les mobilisations citoyennes.

> Revoir la conférence sur Facebook





2020 Covid-19 Les droits humains mis à l’épreuve

Un rapport d’Unia sur l’impact de la crise sanitaire sur les droits humains épingle des éléments alarmants

Un article de D. Watrin

Première vague, deuxième vague, confinement, déconfinement, reconfinement, drames et vies perdues en cascade, la crise sanitaire mondiale autour de la pandémie de Covid-19 aura été l’événement marquant de l’année 2020. Au-delà des conséquences médicales, économiques et financières directes de la pandémie, il est des dégâts humains moins flagrants dont il conviendra de tenir compte au moment de faire le bilan de celle-ci. Unia, le service public indépendant de lutte contre la discrimination et de promotion de l’égalité des chances, vient de publier un rapport intitulé « 2020 Covid-19 Les droits humains mis à l’épreuve » dont le contenu sera à ajouter au dossier à l’heure de ce bilan.

Dans une analyse détaillée courant sur 72 pages, l’ex-Centre pour l’Égalité des Chances et la Lutte contre le Racisme dresse un tableau panoramique de la pandémie en quatre chapitres distincts reprenant chacun un volet de la thématique. D’abord, en premier lieu, la question des vulnérabilités, des droits fondamentaux et de la participation. Ensuite, en deuxième lieu, la protection des droits fondamentaux. En troisième lieu, la mesure de l’impact de la crise. Et enfin, en quatrième lieu, la liste des recommandations de l’institution. Et, dans cet ensemble, une attention particulière est forcément accordée au public des personnes étrangères ou d’origine étrangère.
Avec quelques constats qui n’incitent pas vraiment à l’optimisme…

Une analyse sur 200 jours

Les premiers signalements d’actes discriminatoires en lien avec la propagation du coronavirus qui sont parvenus à Unia sont apparus au début du mois de février 2020, à une époque où la Covid-19 était encore considérée comme un virus limité à la Chine. Sans surprise, ces actes concernaient les personnes d’origine asiatique et témoignaient d’une peur latente. Le phénomène a alerté d’emblée le personnel de l’organisme.

Particulièrement réactif sur la question, Unia a démarré une double action. La première consistait à assister les victimes de ces discriminations et à prévenir les phénomènes discriminatoires. Il s’agissait de mobiliser différents dispositifs réglementaires d’« anti-discrimination », ainsi que la jurisprudence qui y est associée, pour cerner les situations dans lesquelles le cadre légal peut être convoqué. La seconde était de positionner la crise sanitaire comme un facteur de risque en matière de respect des droits humains fondamentaux. C’est cette deuxième dimension qui sert de base au rapport publié aujourd’hui en se basant sur les signalements reçus, la première prenant place ultérieurement dans le rapport annuel d’Unia.

Le corpus servant de support à l’analyse est constitué de témoignages importants de ce que la population a vécu pendant la période étudiée, c’est-à-dire 200 jours entre le 1er février et le 19 août 2020. L’idée de l’institution est, comme elle le fait dans chaque rapport et dans l’approche de chaque thématique, de prendre en compte le vécu des diverses catégories de population impactées. Dans le cas présent, il s’agit notamment des jeunes, des personnes âgées, des personnes handicapées, des personnes vivant en institution, des personnes à la santé précaire et des personnes étrangères ou d’origine étrangère.

Une augmentation de 32% du nombre de signalements

Le propos du rapport a été construit sur base des situations rapportées à Unia. Il s’agit donc de signalements pris en compte avant toute analyse sur leur fondement et leur véracité, mais qui sont intéressants en tant que reflet de ce que vit une partie de la population. Cette option s’explique par la nécessité de formuler rapidement des observations. Il s’agit de proposer une photographie des signalements à trois niveaux  : les témoignages des requérants au sujet de leur quotidien, le climat de méfiance au sein de la population et un éclairage des faits évocateurs positionnés sur un fil temporel.

Le principal indicateur qui peut être considéré comme le chiffre choc de l’étude est l’augmentation de 32% du nombre de signalements reçus pour la même période, par rapport à l’année 2019. Et, parmi ces signalements reçus de février à août 2020, 29,4% sont liés à la Covid. Sur le plan de la répartition par sexe, un peu moins de 6 signalements sur 10 proviennent d’hommes (1055 sur 1846 pour 745 femmes, le reste relevant de personnes morales ou autres). L’évolution mensuelle de ces signalements montre une grande variabilité qui peut être imputée au fait que ceux-ci s’inscrivent dans les réactions aux mesures prises successivement par les autorités.

Les tableaux établis sur les sept mois d’étude illustrent parfaitement cette irrégularité, avec deux mois de pic (mai et août avec respectivement 472 et 580 signalements) et des mois beaucoup plus calmes comme février (15 signalements, mais la crise ne faisait que démarrer), mars (181), avril (267), juin (215) et juillet (133). En ce qui concerne les personnes étrangères ou d’origine étrangère, les faits évoqués relèvent de thématiques individuelles personnelles parmi lesquelles, on peut mentionner la séparation avec des partenaires hors Union Européenne suite à la fermeture des frontières (124), la situation d’enfants d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (103) ou le refus de rapatriement du Maroc (23).

L’imbroglio des configurations non « classiques »

D’une manière générale, ce sont les situations sortant des configurations dites « classiques » qui ont donné lieu à des problèmes entraînant des signalements. Unia a, par exemple, reçu les signalements de personnes ayant la double nationalité. Il s’agissait de Belgo-Marocains retenus au Maroc, des ressortissants pour lesquels les autorités belges ont organisé des vols de rapatriement, mais pas assez nombreux pour ramener tout le monde en Belgique. Parmi les individus concernés, il y avait entre autres des personnes en urgence médicale, des enfants mineurs séparés de leurs parents, etc., avec une coopération parfois réticente des autorités marocaines vis-à-vis de personnes qu’elles considéraient comme leurs propres ressortissants.

Le cas des couples dont un des membres était ressortissant de certains pays de l’UE est également symptomatique. Alors que d’autres pays avaient fait une exception pour ces cas de figure, d’autres s’étaient montrés intransigeants, entraînant l’impossibilité pour les partenaires de se rejoindre. De plus, le déblocage général de la situation à partir du 1er septembre n’a pu s’appliquer qu’aux couples s’inscrivant dans une relation « durable », soit deux ans (ou avec un an de cohabitation, ou avec un enfant en commun).

L’émergence de propos et comportements haineux

Dans un registre plus général, grâce aux signalements, Unia a observé l’émergence de discours stigmatisants, voire d’attitudes haineuses. Grosso modo, à travers ces comportements, il s’agissait d’attribuer la responsabilité de la diffusion du virus à certains groupes (essentiellement les personnes asiatiques), d’effectuer un contrôle social avec des signalements de non-respect supposé des mesures en faisant un lien entre celui-ci et une caractéristique des personnes (comme leur origine, leur droit de séjour sur le territoire…) et de remettre en question des mesures semblant favoriser certains groupes de population. Des cas de propos ou d’attitudes vexatoires ont été signalés. Par exemple, des insultes dans les transports en commun, des refus de réservation hôtelière, des violences raciales, etc., tous liés à des accusations d’être responsable de la propagation du virus en Belgique touchant des personnes aux caractéristiques asiatiques.

Des comportements et propos similaires ont également visé les sans-papiers, les accusant de divers problèmes. Une fake news diffusée en avril par le Vlaams Belang a, par exemple, affirmé que « le stock stratégique de millions de masques (et son renouvellement) a dû céder la place à l’accueil des réfugiés », propos également relayé par le Parti National Européen. Des requérants se sont aussi inquiétés des pratiques du bourgmestre de Coxyde envers les résidents du centre d’accueil de Fedasil présent sur la commune. Ces personnes accusaient l’homme de refuser que les enfants hébergés dans ce centre se rendent à l’école, allant jusqu’à dépêcher des policiers aux portes de l’école pour leur en empêcher l’accès.

D’autres signalements ont épinglé des propos touchant au critère de la couleur de peau, notamment un tweet de Filip De Winter (Vlaams Belang) s’exprimant sur les consignes de lavage des mains. Les convictions religieuses et philosophiques n’ont pas non plus été épargnées durant cette période. Ce volet a bien sûr concerné les musulmans et l’islam, avec des signalements de propos choquants (émanant notamment, une fois de plus, des politiciens du Vlaams Belang). Les personnes juives n’ont pas non plus échappé au phénomène, tant dans la vie quotidienne que sur la toile et les réseaux sociaux.

Les minorités ethniques surreprésentées

L’analyse d’Unia concerne également directement la pandémie. Un des éléments relevés par l’organisme est l’absence en Belgique d’indicateurs sur l’origine ethnique ou le passé migratoire des personnes contaminées et décédées, alors que ces chiffres sont disponibles au Royaume-Uni, aux États-Unis et même en France, pourtant longtemps réfractaire à l’établissement de telles statistiques. Ces chiffres mettent en lumière une surreprésentation des minorités ethniques au sein des populations contaminées et décédées du virus.

Les recherches effectuées dans ces pays avancent toutes les mêmes raisons pour expliquer cette surreprésentation. La principale est que ces personnes travaillent plus dans des secteurs de première ligne comme les soins de santé ou d’autres services essentiels où le télétravail n’est pas possible. Elles vivent également dans des logements plus exigus et dans des quartiers défavorisés et très peuplés, les familles sont plus souvent nombreuses et sont de santé plus précaire. Autant de facteurs nettement défavorables dans le cadre de la pandémie…

Le rapport complet « 2020 COVID-19 Les droits humains mis à l’épreuve » est disponible ici




Communiqué de presse – Coalition NAPAR


L’approbation d’un futur plan d’action contre le racisme rappelle la nécessaire alliance entre politiques et société civile.

Aujourd’hui, après dix-neuf ans, la Conférence interministérielle sur la lutte contre le racisme a enfin donné le feu vert à l’élaboration d’un plan d’action national contre le racisme. La note de démarrage, qui décrit les premières étapes vers un plan d’action, a été approuvée par les
ministres présent.e.s. « Nous pouvons enfin nous penchez sur les actions concrètes du futur plan d’action », déclare Sakina M. Ghani co-coordinatrice de la coalition NAPAR, regroupant 60 organisations belges.

La note de démarrage du plan d’action contre le racisme, que la Coalition a pu consulter cet été, contient les grandes lignes de méthodologie et une liste de domaines sociétaux pour lesquels des actions devraient être prévues. « Toutefois, il est primordial que la note soit complétée. Il faut également s’attaquer au racisme au sein de la politique migratoire. La criminalisation des personnes migrantes, qui sont invariablement présentées comme une menace, conduit à beaucoup de racisme et de discrimination. Le plan d’action devrait également s’attaquer résolument à la violence policière raciste et à la discrimination sur base du port de signes convictionnels ». En effet, après la mort de Georges Floyd, plus de 10 000 personnes sont descendues dans les rues de Bruxelles pour demander à la Belgique de s’attaquer avec force au racisme au sein de la police et au racisme structurel. La manifestation #HijabisFightBack, qui a dénoncé la question de l’exclusion des personnes sur la base de signes convictionnels, a également beaucoup mobilisé en juillet. Ce signal ne peut être ignoré car il signifie également que la société civile est prête à se mobiliser et à travailler aux côtés des politiques.

Enfin, la coalition NAPAR signale un écueil : « ce ne serait pas la première fois qu’un plan d’action est élaboré sans prendre en compte l’expérience des personnes concernées. Nous attendons donc que la société civile antiraciste soit étroitement associée à la poursuite des travaux pour l’élaboration du plan. Ce n’est qu’ainsi que le plan d’action sera ambitieux et réaliste, avec des objectifs concrets, des critères de réussite mesurables et les moyens correspondants », conclue Sakina M. Ghani.La coalition NAPAR

La Coalition NAPAR est composée d’environ 60 organisations belges. Elle milite pour un plan d’action interfédéral contre le racisme. Le 22 mai 2018, la Coalition NAPAR a organisé une séance d’information au Parlement avec des témoignages et des propositions concrètes. Au cours de la précédente législature, les propositions d’action ont également été envoyées à tous les membres du Parlement belge ainsi qu’aux ministres et secrétaires d’État de tous les gouvernements. La coalition a entamé un dialogue avec diverses administrations, des cabinets ministériels, des parlementaires et des partis politiques.
Contact francophone : Sakina M. Ghani 0471 69 83 05

La Coalition pour un plan d’action interfédéral contre le racisme est composée des organisations suivantes : ACLI Vlaanderen vzw, ACOD cultuur, ACV-CSC, AIF+ vzw, Asbl Objectif – mouvement pour l’égalité des droits, Asbl Union, Balkan LGBTQIA+, Bamko asbl, BePax, Beweging.net, BOEH !, Bruxelles Panthères, Café Congo, Les Cannelles asbl, Centre d’action interculturelle de la province de Namur, Centre régional d’intégration de Charleroi, Centre Régional d’Intégration du Brabant-Wallon, Centre Régional de La Louvière – Wallonie Picarde Nord, Centre Régional d’intégration de Liège, Centre Régional d’Intégration du Luxembourg, Centre Régional d’intégration de Mons Borinage et Wallonie Picarde Sud, Centre Régional de Verviers pour l’Intégration, CSC Bruxelles, Collectif Contre l’Islamophobie en Belgique, Collectif Féministe Kahina, Een Andere Joodse Stem, ella vzw Kenniscentrum gender en etniciteit, ENAR, Federatie van Marokkaanse Verenigingen, FENIKS vzw, Furia, Hand in Hand tegen racisme vzw, Hand-in-Hand Gent, Hart boven Hard, Internationaal Comité vzw, Job@Ubuntu, Karamah EU, Kif Kif vzw, Le Collectif Mémoire Coloniale de Lutte contre les Discriminations, Le Monde des Possibles – Liège, Liga voor Mensenrechten, Ligue des droits Humains, Merhaba vzw, Minderhedenforum, Mouvement Ouvrier Chrétien, MRAX, Mwinda Kitoko, Netwerk tegen Armoede, ORBIT vzw, Platform Allochtone Jeugdwerkingen, RainbowHouse, Réseau de Soutien aux Victimes Brésiliennes de la Violence Domestique, RIMO Limburg vzw, RoSa vzw, Samenlevingsopbouw sector, School zonder Racisme vzw, SEER vzw (Social Enhancement and Empowerment of Roma), SHARE (Forum des Migrants), Tayush, Union des Progressistes Juifs de Belgique, Vie féminine, VZW Jakoeboe – Welzijnsschakel Vluchtelingen Oostende, Welzijnszorg.
Découvrez le mémorandum pour un plan NAPAR ici