Coronavirus : permettre à tous de se confiner est la seule manière d’en sortir – CARTE BLANCHE ASSOCIATIVE


Alors que les mesures se multiplient et que chacun se confine derrières ses murs, des citoyens « oubliés » échappent au confinement à défaut d’avoir un abri et des moyens de subsistance. Les autorités doivent mettre en place des solutions structurelles pour protéger l’ensemble de la population et enrayer l’épidémie.

Le confinement n’aura servi à rien si une partie de la population est ignorée

La deuxième semaine de confinement se termine. Les yeux rivés sur le frémissement des chiffres, tous se demandent si les mesures récemment mises en place auront un impact suffisant. Mais c’est sans compter que certains citoyens ont été « oubliés » par les autorités : sans logement ni moyens de subsistance, ils ne peuvent pas se conformer à cette règle du « restez chez vous ». Or, si des pans entiers de la population sont laissés sur le côté, il s’agira d’autant de personnes exposées à un risque de contamination, et sources elles-mêmes de contagion.

Les oubliés sont nombreux. Parmi la population précarisée, il s’agit notamment des personnes étrangères sans titre de séjour, qui n’ont pas de couverture médicale. Certaines d’entre elles sont coincées en centres fermés, dans des conditions de promiscuité qui vont à l’encontre des règles sanitaires. D’autres ont récemment été libérées sans précaution quant à ce qu’il adviendrait d’elles. Il s’agit aussi de personnes venues demander l’asile et qui, depuis deux semaines, se retrouvent devant la porte close de l’Office des étrangers. Une grande partie de ces personnes s’ajoute à celles qui vivaient déjà sans-abri, et des solutions peinent à se dessiner.

Des mesures structurelles sont nécessaires

Pour l’heure, les appels à l’aide pour des aliments, des savons, des produits de nettoyage se multiplient. En réponse, de nombreux élans de solidarité se font entendre. S’ils sont louables, ils ne seront pas suffisants sans que des mesures soient prises par les autorités pour mettre à l’abri l’ensemble des citoyens. Les personnes étrangères sans titre de séjour, dites « sans-papiers », représentent près d’un pourcent de la population. En temps normal, ces quelque 100.000 à 150.000 personnes vivent déjà dans une précarité criante, sans accès à un emploi déclaré et sans aide sociale, avec pour seul filet de sécurité l’aide médicale urgente. Or, dans ce contexte de crise, leur dénuement se fait encore plus insupportable, comme le rappelle la Coordination des sans-papiers de Belgique. La situation est d’une incohérence inouïe ; les pratiques administratives habituelles continuent de s’appliquer, comme si de rien n’était. Un exemple parlant : les personnes libérées de centres fermés reçoivent un ordre de quitter le territoire dans un délai de 30 jours après avoir été libérées, alors que le trafic aérien est au ralenti et que les frontières se ferment les unes après les autres.

Les solutions existent

Nous soulignons les améliorations apportées dans l’urgence au dispositif d’aide médicale urgente (simplification de l’activation de l’aide médicale urgente et extension de la durée des cartes médicales), mais des mesures plus ambitieuses doivent être adoptées notamment en matière de séjour.

En regardant les pays européens les plus durement touchés par la crise sanitaire, il est clair que des solutions créatives peuvent être mises en place rapidement. La ville italienne de Bologne a montré l’exemple. Elle a dédoublé ses capacités d’hébergement pour les personnes sans abri en mobilisant tous les lieux possibles, notamment les écoles fermées. La France a décidé de renouveler pour trois mois tous les titres de séjour qui arrivaient prochainement à expiration. Cela empêche tout contact inutile entre les citoyens et l’administration et évite que certains ne tombent dans une situation d’irrégularité de séjour et que ne s’enclenche une spirale infernale : plus de titre de séjour, plus de travail, plus de revenu, plus de logement, plus de mutuelle. Le Portugal a quant à lui décidé de régulariser temporairement les étrangers qui avaient introduit une demande de séjour et qui sont toujours en attente d’une réponse des autorités.

Pour sortir de la crise sanitaire qui paralyse le pays, il faut :

Que les personnes sans papiers aient une autorisation de séjour qui leur permet au minimum de rester en Belgique le temps de la crise sanitaire
Que ces personnes reçoivent de quoi subvenir à leurs besoins, se confiner et respecter les recommandations sanitaires de base
Que les étrangers encore détenus dans les centres fermés soient libérés, qu’ils aient une autorisation de séjour et qu’ils soient hébergés dans des structures d’urgence
Que les personnes qui cherchent une protection puissent déposer leur demande d’asile et soient hébergées
Que tous les titres de séjour qui arrivent à expiration soient prolongés automatiquement pour 3 mois.
Nous avons conscience que de telles mesures demandent de la créativité et de l’audace. Il est temps que des solutions claires soient mises en place et que les citoyens présents sur notre territoire, avec ou sans abri, avec ou sans papiers, soient protégés. Il en va de l’intérêt général.

Signataires

CIRÉ,
Vluchtelingenwerk Vlaanderen,
Coordination des sans-papiers de Belgique,
Sans Papiers TV,
Comité des Femmes Sans Papiers,
Réseau ADES,
Groupe Montois de Soutien aux Sans-Papiers,
La Voix des sans-papiers de Liège
Comité de Soutien à la Voix des Sans-Papiers de Liège,
Collectif Liégeois de soutien aux Sans-Papiers,
Liège Ville Hospitalière,
CRACPE – Collectif de Résistance Aux Centres Pour Étrangers,
Collectif La Bruyère commune hospitalière,
Caritas International Belgique,
AVOCATS.be – Ordre des Barreaux Francophones & Germanophone
Point d’appui,
MRAX,
Ligue des droits humains,
Maison du Peuple d’Europe,
Amitié sans frontières – Vriendschap Zonder Grenzen,
SOS Migrants,
Convivial – Mouvement d’Insertion des Réfugiés,
Le Monde des Possibles ASBL,
JRS – Jesuit Refugee Service Belgium,
ADDE – Association pour le Droit Des Étrangers,
Médecins du Monde,
Service Social Juif,
SESO – Service social des solidarités,
MOC – Mouvement Ouvrier Chrétien,
Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés,
Amnesty International Belgique francophone,
CNCD-11.11.11,
NANSEN,
Centre d’action interculturelle de la province de Namur,
L’École des Solidarités,
UPJB – Union des Progressistes Juifs de Belgique,
Collectif Migrations Libres,
CEPAG – Centre d’Éducation Populaire André Genot
FGTB Wallonne,
FGTB ABVV fédéral,
CSC ACV,
ASBL F41,
Sibylle Gioe (avocate),
Pierre Robert (avocat).





L’urgence est aussi de libérer Clarisse et tous les prisonniers des centres fermés – CARTE BLANCHE


Le MRAX et plus de 40 organisations du monde associatif appellent d’urgence à ce geste, simple, de légalité et d’humanité.

Aujourd’hui encore, ils sont des centaines à tenter de survivre dans des centres fermés, la boule au ventre, avec cette angoisse d’entendre en permanence la radio débiter des conseils de prudence, de distanciation sociale, de mesures sanitaires pour préserver chacun du coronavirus. Mais eux, ils savent que ces messages ne leur sont pas destinés. Pour eux, la distanciation sociale se transforme en promiscuité sociale. C’est à la roulette russe qu’on joue avec leur vie.

La ministre de l’asile et de la migration sait pourtant pertinemment que les maintenir dans ces centres, en raison de l’urgence sanitaire, est contraire à notre législation et à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme interdisant les traitements inhumains et dégradants. Et non seulement elle le sait, mais elle le dit, par l’intermédiaire de la porte-parole de son administration.

Lors de la libération de 300 personnes des centres fermés, il y a quelques jours, celle-ci a précisé que « La loi nous indique que nous ne pouvons maintenir en détention des personnes que quand il est possible de les rapatrier rapidement. Pour les 300 personnes que nous avons libérées, ce n’est pas possible étant donné que beaucoup de pays ont fermé leurs frontières et parce qu’il n’y a plus de vol qui parte de la Belgique ».

Elle a raison, la porte-parole de l’Office des étrangers. La loi est claire : une personne ne peut être détenue que durant le temps strictement nécessaire à son expulsion. Si l’expulsion est impossible, comme elle l’est aujourd’hui, il faut libérer les personnes détenues. Les frontières sont fermées, les vols vers les pays d’origine sont annulés, la pandémie se mondialise… la loi est claire.

Mais alors, pourquoi la ministre se met-elle hors la loi ? Pourquoi tant de personnes restent encore dans ces centres ? A l’instar de Clarisse, jeune femme congolaise, arrivée le 1err mars en Belgique avec visa et passeport valides. Interrogée dans la zone de transit, emprisonnée dans le centre Caricole parce qu’elle ne sait pas que la cathédrale de Notre-Dame de Paris a brûlé… Libérée par la chambre du conseil, où le juge se dit pantois devant la décision d’enfermement. Appel de l’Office. Libérée à nouveau par la chambre des mises en accusation, qui insiste sur l’illégalité des mesures d’enfermement. Recours en cassation de l’Office des étrangers : Clarisse reste détenue et le restera jusqu’au 29 avril, date de l’audience en cassation. Avec, comme conséquence de cet acharnement, le fait que son visa est périmé, que la frontière avec la France est fermée, qu’elle ne peut plus retourner à Kinshasa faute de vol…est-ce là une politique cohérente ?

Des Clarisse, il y en a des dizaines, aujourd’hui encore, dans les centres fermés. Imaginez que le probable devienne réalité, à savoir qu’une personne, dans ces centres, soit déclarée positive au coronavirus. Les témoignages sont nombreux qui disent leur angoisse, leur incompréhension. Les médecins dénoncent les conditions d’enfermement, mais lancent aussi un avertissement solennel : « c’est maintenant qu’il faut libérer parce qu’après, s’ils sont contaminés, cela sera trop tard ». On ne peut imaginer ce « trop tard ».

Notre Première ministre le martèle à chacune de ses interventions : ce n’est qu’ensemble que nous éradiquerons le coronavirus. Nécessaire prise de conscience d’une absolue solidarité : c’est en prenant soin de vous que vous prenez soin des autres. En libérant les détenus des centres fermés et en prévoyant des solutions de relogement pour ceux et celles qui n’ont pas de proches pour les accueillir.

Constat simple mais juste : cette crise nous apprend, qu’on le veuille ou non, que nous vivons une histoire commune que nous devons écrire ensemble. Ensemble, cela veut dire sans laisser personne au bord de la route. Il est temps, pour eux comme pour nous, qu’ensemble nous ouvrions les portes des centres fermés.

Signataires :

AB2
Amitié Sans Frontières / Vriendschap Zonder Grenzen
Amnesty International Belgique francophone
Asbl F41
Ce.R.A.I.C. asbl
Centre d’action interculturelle de la province de Namur (C.A.I.)
Centre Interculturel de Mons et du Borinage (CIMB)
Centre Régional d’Intégration de Charleroi (CRIC)
Centre Régional de Verviers pour l’Intégration (CRVI)
CIRE Asbl
CNCD-11.11.11
Collectif Contre l’Islamophobie en Belgique
Collectif d’afghans SP
Collectif liégeois de soutien aux sans-papiers
Collectif Mémoire Coloniale et Lutte Contre les Discriminations
CRIBW
CRILUX Asbl
CRIPEL
Hand in Hand tegen racisme vzw
Jesuit Refugee Service Belgium
La Coordination des Sans-Papiers de Belgique
La Ligue des Droits humains
Le Collectif féministe Kahina
Le collectif Migrations Libres
Le Comité des TSP de la CSC Bruxelles
Le CRACPE, Collectif de Résistance Aux Centres Pour Etrangers
Le Groupe montois de Soutien aux Sans-Papiers (GMSSP)
Le MOC
Le Monde des Possibles
Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie (MRAX)
Platform(e) 21/3 (Regroupant plus de 20 organisations)
Point d’Appui asbl
Sans Papiers TV
SAP-Gauche anticapitaliste
Solidair Gent
SOS Migrants
Uit De Marge
Vluchtelingenwerk Vlaanderen





Pour qu’il n’y ait pas de George Floyd en Belgique… – CARTE BLANCHE DES CRI


Pour qu’il n’y ait pas de George Floyd en Belgique…

L’image de l’américain George Floyd mort après de longues minutes d’agonie, le cou compressé sous le genou d’un policier, a fait le tour des médias et des réseaux sociaux de la planète. Dramatique fait divers survenu de l’autre côté de l’Atlantique, preuve accablante de la répression d’une police violente et raciste, ces images ont choqué l’opinion publique mondiale. Mais que se cache-t-il dans notre pays derrière le voile d’émotion qui a enveloppé ce décès devenu symbole ?

Confrontés à la réalité du terrain sur tout le territoire de la Wallonie, les Centres Régionaux d’Intégration (CRI) n’ont pas vu dans ce cas dramatique la révélation soudaine d’une réalité lointaine et ignorée. Sur leur zone géographique de compétence, même si elle est heureusement moins tragique et spectaculaire, cette réalité est connue. Les discriminations dans toutes les matières (emploi, santé, logement, éducation, etc.) sont systémiques. Depuis longtemps. Tout comme la violence d’État. Et la voix des acteurs de terrain comme les CRI qui essaient de les dénoncer sont peu entendues, rarement écoutées.

Le racisme est structurel en Belgique. Les CRI le savent. Les CRI le vivent. Les CRI le disent. Les CRI se battent pour que cette réalité crue recule. Pour qu’elle disparaisse. Ils n’ont pas attendu une onde de choc et de dégoût comme celle suscitée par l’affaire George Floyd pour s’atteler au quotidien à éradiquer le phénomène du racisme qui frappe quotidiennement le public migrant, tout comme les Belges d’origine étrangère. Le mal est profond, récurrent, omniprésent et demande une réponse forte, incessante et coordonnée. Pour les CRI, ce mal a une réponse : la lutte. C’est la raison pour laquelle ils se sont notamment impliqués dans la coalition bilingue NAPAR qui couvre tout le territoire national pour impulser la création d’un plan d’actions interfédéral de lutte contre le racisme au niveau de la Belgique. Un combat de plus pour marcher vers l’égalité de tous et la participation citoyenne.

Ce plan porté par une cinquantaine d’associations repose sur un mémorandum co-construit et validé par ces associations pour s’attaquer au racisme institutionnel et structurel. Ensemble. L’affaire George Floyd, pour les Centres Régionaux d’Intégration, c’est la mise en lumière d’un combat juste, inlassable, à recommencer et à réinventer encore et encore.

Les directeurs des CRI de La Wallonie


DisCRI ASBL – Place Gustave Falmagne 5, 5000 Namur – E-mail : info@discri.be – Numéro d’entreprise : 0463 756 505 – RPM : Namur – IBAN : BE98 1325 3291 3593





Non au délit de faciès. Ni à Blankenberge, ni ailleurs ! – CARTE BLANCHE


CARTE BLANCHE

Non au délit de faciès. Ni à Blankenberge, ni ailleurs !

Bruxelles, 17 août 2020

La lutte contre l’épidémie de COVID-19 occupe la scène sanitaire, politique, médiatique, et préoccupe l’ensemble de nos sociétés depuis plusieurs mois maintenant. Au nom de cette lutte, de nombreuses mesures ont été adoptées. Les politiques mises en place ont été largement observées, analysées, critiquées, parfois avec virulence.

Une part des critiques formulées s’est axée sur les conséquences des mesures prises sur les droits et libertés fondamentales de la population, avec notamment un accent sur le caractère différencié des effets de certaines décisions politiques. Celles-ci impactent encore actuellement les personnes plus ou moins violemment en fonction de différents critères possibles, tels que leur niveau de richesse, leur lieu d’habitation, voire même leur couleur de peau.

Il est, somme toute, assez fréquent que le monde politique ne tienne pas assez compte des effets collatéraux que ses décisions peuvent avoir en matière de discriminations sociales.

Dès le mois d’avril, le MRAX attirait donc l’attention sur l’aggravation des inégalités causée par l’instauration du télétravail et la fermeture des crèches et des écoles, et soulignait que pour rester « chez soi », encore faut-il disposer d’un logement, décent qui plus est[1]. Au même moment, Amnesty s’inquiétait déjà, aussi, « d’informations émanant de rapports faisant état d’une sévérité accrue de la police dans le maintien des mesures de confinement dans des quartiers où vivent de nombreuses personnes issues de groupes ethniques minoritaires, faisant craindre une recrudescence du profilage ethnique lors des contrôles de police »[2].

En juin, alors que le coronavirus s’était bien installé, et qu’avec lui semblaient se renforcer certaines dérives, s’organisait une grande manifestation contre les violences policières. Pieter de Crem, Ministre de l’Intérieur, répondait : « Il n’y a pas de problème de racisme structurel au sein de la police ». Moins d’une semaine plus tard, la Ligue des Droits Humains sortait un rapport spécifiquement centré sur la période du confinement qui, a minima, nuançait fortement son constat, voire le contredisait sérieusement sur base d’une centaine de témoignages[3].

Aussi, lorsqu’au milieu de l’été, cette période « molle » du monde de l’informations, une échauffourée entre policiers et plagistes, s’est trouvée faire la une, et, rapidement qualifiée d’« émeute » – décidément, si l’on en croit les images disponibles, l’émeute du 21e siècle est bien légère par rapport à ce qu’elle était encore 50 ans auparavant –, fut reprise jusque dans jusque dans Paris-Match[4], cela ne nous a finalement que modérément surpris…

Quoi de moins étonnant que les possibles « débordements » d’une jeunesse trop longtemps enfermée, soumise à des mesures, indispensables peut-être, mais d’autant plus contraignantes pour ceux qui n’ont pas forcément l’opportunité de s’évader une semaine entière du quotidien bruxellois plus ou moins asphyxiant d’un été coronaviré ? Et comment n’y voir que des problèmes de comportement ou d’« incivilités », sans envisager d’analyser la situation de manière globale, et notamment le contexte socio-économique désastreux ?

Le jour même, cependant, les jeunes « émeutiers » étaient requalifiés par certains plaisantins à la culture ou aux scrupules un peu légers en « Amoks », un terme pour le moins déplacé, pour peu que l’on s’attarde une minute sur ce qu’il signifie, et employé en l’espèce de façon totalement raciste et néo-coloniale[5]. C’était déjà inacceptable, et d’autant plus qu’il a rapidement essaimé, de l’extrême-droite, pour être repris un peu partout, et jusque par le personnel des forces de police.

Ainsi, alors que nous nous étonnions que les « touristes d’un jour » ne soient plus les bienvenus sur la Côte, nous avons assisté consternés à l’interview d’un commissaire de police de Blankenberge annonçant que ses services arrêteraient certains jeunes dès la sortie des trains en fonction de critères pour le moins discutables : « Nous regardons qui quitte le train. Si nous constatons qu’il y a des jeunes avec le même profil que les « amoks » de samedi, nous les arrêterons ». Le tout au JT de 19h de la VRT, l’un des plus suivis du pays[6].

Que devons-nous comprendre de ces propos ? Que le comportement délictueux d’une personne se lit sur ses caractéristiques physiques, sur le lieu de son domicile, et/ou sur la manière dont il s’habille ou se coiffe ? Les justifications apportées après coup[7] nous paraissent à tout le moins discutables. Sur quels autres éléments les policiers ont-ils le temps de se baser, alors qu’un train se vide sur les quais, et qu’ils doivent donc « trier » les personnes qui en descendent sans provoquer d’attroupements massifs, sous peine de provoquer des situations propices aux contagions ?

Et, donc, comment comprendre ce programme d’action autrement que comme une légitimation du profilage ethnique et du délit de faciès, alors que l’on aura déjà largement entendu, ces derniers jours, les récriminations de syndicats policiers contre la « racaille bruxelloise »[8], ou leurs commentaires à propos de l’existence de « bandes bruxelloises »[9] de délinquants ?

Pour Muriel Sacco, chercheuse à l’ULB, « parler de bandes bruxelloises, c’est déjà généraliser… Les préjugés jouent beaucoup dans la lecture de ces événements. Par préjugés, j’entends une racialisation des comportements déviants, la réduction de ceux-ci à des origines : le délit de faciès à proprement parler. Ces préjugés jouent comme de véritables lunettes à travers lesquelles les événements sont lus »[10].

Or le « délit de faciès », ou profilage ethnique, que nos autorités se défendent à grands cris de pratiquer, est évidemment illégal. On ne peut arrêter des personnes qui n’ont commis aucune infraction uniquement sur base de stéréotypes liés à un « profil ». La déclaration du commissaire que nous mentionnions plus haut pourrait à ce titre relever de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie en tant qu’elle incite à la discrimination.

Que les forces de l’ordre et leurs supérieurs politiques, et notamment certains bourgmestres, assument désormais ouvertement sélectionner les « profils » des personnes qui auraient le droit d’accéder à certains lieux nous semble plus qu’inquiétant. Il s’agirait en effet d’une aggravation non-négligeable du niveau de racisme structurel assumé au sein de notre société, en opposition radicale avec les valeurs de droits et de libertés que nous défendons.

Nous avons assisté ces derniers jours à un appel massif de certaines forces politiques à commettre de manière massive des délits de faciès. C’est inadmissible. Dans un État de droit, les mesures sanitaires nécessaires pour protéger la population doivent aussi respecter la loi, ne serait-ce que dans un souci d’acceptabilité par la population.

Nous demandons donc à Mme Daphné Dumery, bourgmestre de Blankenberge, et à tous les bourgmestres, spécialement ceux de la Côte, mais aussi à M. Pieter De Crem, ministre de l’Intérieur, de rappeler publiquement le cadre légal dans lequel doit s’exercer l’autorité des forces de police : il est absolument interdit de discriminer des individus sur une base ethnique et/ou sociale. Nous exigeons, aussi, que cette interdiction soit pleinement et entièrement respectée.

[1] http://mrax.be/wp/3628-2/
[2] https://www.amnesty.be/infos/actualites/covid-belgique
[3] https://www.liguedh.be/abus-policiers-et-confinement/
[4] https://www.parismatch.com/Actu/International/Emeute-sur-une-plage-belge-apres-le-refus-des-gestes-barrieres-1697750
[5] Rappelons que ce terme désigne une personne prise d’une rage meurtrière, et qu’il a été intégré au vocabulaire psychiatrique depuis fort longtemps…
[6] Celui du 9 août.
[7] Et notamment celles du Ministre de Crem, le 11 juin, à la Chambre qui, interrogé sur la question du profilage ethnique, s’est contenté de répondre que : « Er is geen etnische profilering gebeurd. Er is wel controle uitgevoerd en opgetreden op basis van een aantal parameters zoals samenscholingen en potentieel drank- of drugsmisbruik ». Source : https://www.lalibre.be/belgique/societe/de-crem-cible-de-critiques-apres-les-debordements-a-blankenberge-condamnez-la-violence-des-propos-tenus-par-les-forces-de-l-ordre-qui-avouent-faire-du-delit-de-facies-5f3264509978e2322f0bd18e
[8] https://www.lalibre.be/belgique/societe/a-la-cote-les-syndicats-policiers-veulent-la-meme-approche-qu-en-festival-5f3264439978e2322f0bd18c
[9] https://plus.lesoir.be/318495/article/2020-08-11/bagarre-blankenberge-faut-il-parler-de-bandes
[10] Idem.

Contact MRAX
Francine Esther Kouablan, Directrice du MRAX
Email : esther.kouablan@mrax.be
Tél : 0471 91 33 69
Site web : www.mrax.be Page Facebook : https://www.facebook.com/mrax.mrax

Signataires de la carte blanche :

Amandine Kech (animatrice-coordinatrice, Magma asbl)
CeRAIC
Ella vzw
Europe Belgium Diversity
La Ligue des droits humains
Le Centre d’action interculturelle de la province de Namur
Le Centre de Médiation des Gens du Voyage et des Roms
Le Collectif Contre l’Islamophobie en Belgique
Le Collectif de Résistance Aux Centres Pour Etrangers
Le Collectif liégeois de soutien aux sans-papiers
Le Collectif Migrations Libres
Le Groupe montois de Soutien aux Sans-Papiers
Le Monde des Possibles
Le Mouvement ouvrier chrétien
Michel Arnould
Noémie Emmanuel (militante associative)
Observatoire de la Négrophobie en Europe
Présence et Action Culturelles
Simone Susskind (Ancienne députée bruxelloise et sénatrice)
SOS Migrants
Thomas Peeters (Orbit vzw)
SAP
Solidair Gent
Stand Up tegen racisme en fascisme
Vie Féminine





Mémorandum 2018 (élections communales et provinciales)

Le Centre d’action interculturelle (C.A.I.) en tant que centre régional pour l’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère, en s’appuyant sur les constats et les priorisations des acteurs de terrain, a rédigé un mémorandum présentant les souhaits partagés en matière d’accueil et d’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère. Les priorités listées dans le document, fruit d’une consultation des acteurs de terrain et participants du Plan provincial et local d’intégration (PPLI), reflètent cependant des préoccupations communales en connexion directe avec l’actualité régionale, fédérale, voire mondiale. Elles s’accordent avec un travail préliminaire des Centres Régionaux d’Intégration compilé par le Dispositif d’appui aux Centres Régionaux d’Intégration (DISCRI) et intitulé Mémorandum pour une commune interculturelle. De la même manière, les acteurs qui ont pris part à la co-construction de mémorandum et le C.A.I. peuvent être satisfaits de l’orientation générale donnée à leurs priorités. Elles s’inscrivent dans la même direction que les mémorandums d’autres acteurs majeurs de notre secteur.

> Télécharger le mémorandum




Migrant.e.s en transit – LETTRE OUVERTE – mai 2019

A la veille d’un triple scrutin électoral, un ensemble de collectifs de citoyens et d’associations (dont le CAI) décide d’interpeller le pouvoir politique à tous les niveaux face à la situation déplorable des migrants de passage en province de Namur et au-delà. Ils souhaitent faire entendre leur voix et faire remonter la réalité que vivent ces personnes et les difficultés que rencontrent les collectifs citoyens qui tentent de leur venir en aide en espérant que les autorités publiques prennent enfin leurs responsabilités et que soit mise à l’agenda des débats politiques cette situation de crise humanitaire dramatique et insoutenable.
Si cette réalité est connue depuis des mois et largement médiatisée à Bruxelles autour du Parc Maximilien, aujourd’hui, certaines aires d’autoroute de Wallonie deviennent à leur tour des lieux de transit. En province de Namur, à Spy, Wanlin, Gembloux ou encore à Hulplanche, des camps de fortune naissent, des collectifs citoyens se constituent et de nombreuses formes de solidarité apparaissent (soutien moral, distribution alimentaire, hébergement, information sur la procédure d’asile ou soutien vers une procédure d’asile, etc.).
Mais aujourd’hui ces solidarités s’épuisent, les collectifs et associations qui gravitent autour de ces zones de transit manquent de ressources de tout genre (ressources matérielles, alimentaires, vêtements, lieux d’accueil et d’hébergement, aide et soutien psychologique, juridique,…), des interventions policières ont lieu, la situation sanitaire se dégrade jusqu’à menacer la santé publique. Aujourd’hui, le souhait le plus cher des collectifs citoyens est de pouvoir ne plus exister, de ne plus avoir à assumer les responsabilités qui sont celles de l’Etat et des différents pouvoirs publics. Ils attendent une réponse structurelle qui puisse apporter une reconnaissance à ces invisibles.

Lire la lettre ouverte