Rapport de l’OCDE sur les perspectives des migrations internationales : un bilan globalement positif terni par la crise sanitaire
Article de Dominique Watrin
Discri asbl
Attendu chaque année comme un précieux condensé de constats établis à l’échelle de la planète, le rapport « Perspectives des migrations internationales 2020 » de l’OCDE vient d’être divulgué. Et sans surprise, cette dernière édition est traversée par la crise sanitaire et toutes ses implications. Avec une étrange cohabitation de tendances encourageantes tant pour 2018 que 2019 et de points d’interrogation, assortis de craintes, pour les perspectives qui suivront la vague de pandémie qui a d’ores et déjà marqué l’exercice 2020.
Pour rappel, l’OCDE (l’Organisation de coopération et de développement économiques) est une organisation internationale d’études économiques dont les pays membres, pour la plupart développés, ont pour caractéristique commune d’avoir un système de gouvernement démocratique et une économie de marché. Son objectif avoué est de promouvoir des politiques publiques favorisant la prospérité, l’égalité des chances et le bien-être pour tous. Son rapport 2020 analyse les évolutions récentes des mouvements et des politiques migratoires dans les pays de l’OCDE (et quelques pays non-OCDE) et observe l’évolution de la situation des immigrés sur le marché du travail dans ces pays. Ce rapport propose aussi un chapitre particulier sur l’impact de la migration sur la composition structurelle de l’économie, ainsi que, comme chaque année, des notes par pays et une annexe statistique.
Le principal axe de réflexion qui traverse ce rapport 2020, copieux de 388 pages, s’articule autour de l’urgence sanitaire mondiale engendrée par la pandémie de Covid-19 qui a elle-même déclenché une crise économique et sociale inédite. L’un des enseignements de cette dernière a été de souligner une fois de plus la contribution des populations immigrées au bon fonctionnement de nos sociétés occidentales, par le biais notamment de leur forte représentation dans les domaines d’activités essentiels comme la santé, les commerces alimentaires, etc. Ou dans des emplois que les natifs évitent comme la cueillette des fruits qui a donné lieu, dans certains pays, à des mesures particulières générées par la pénurie de cette main-d’œuvre étrangère lors du premier confinement.
Une surreprésentation des immigrés dans les secteurs de première ligne
Le premier enseignement du rapport de l’OCDE est la situation des immigrés, présents en première ligne face à la crise sanitaire du coronavirus. Le premier volet de ce positionnement particulier est évidemment celui qui vient d’être signalé plus haut, à savoir une surreprésentation des immigrés dans certains secteurs économiques des pays concernés, comme ceux de la santé où ils représentent 24% des médecins et 16% des infirmières, des services domestiques et de l’entretien, de l’agriculture saisonnière et des transports. Le deuxième volet de ce positionnement particulier est la forte exposition de cette frange de population face aux conséquences sanitaires et économiques de la pandémie. Ce volet met en exergue tout à la fois leur importante présence dans les emplois de première ligne face à la crise sanitaire et leurs vulnérabilités spécifiques liées à des facteurs comme leurs conditions de logement.
Les immigrés ont également été surexposés aux conséquences économiques de la crise sanitaire. Pourquoi ? Parce que beaucoup travaillent dans les secteurs les plus touchés comme l’hôtellerie, la restauration et le tourisme mis à rude épreuve, mais aussi parce que beaucoup ne détiennent que des contrats temporaires dont certains ont carrément pris fin pendant la crise, sans être renouvelés. Conséquence chiffrée, le taux de chômage a grimpé en flèche, passant d’une moyenne OCDE de 5,2% en décembre 2019 à 7,7% en juillet 2020, avec un pic à 8,6% en avril 2020. Selon l’organisme, les pays de l’OCDE ne seront pas revenus au niveau d’emploi d’avant la crise, même d’ici fin 2021.
Une diminution de moitié des flux migratoires
Une difficulté supplémentaire a été que, pendant que la pandémie mettait en lumière la contribution essentielle des immigrés dans l’économie de leurs pays d’accueil, cette crise sanitaire a entraîné une chute brutale des flux migratoires vers les pays de l’OCDE. Une chute conséquente puisque, selon les estimations de l’organisme, ces flux ont diminué de moitié au premier semestre 2020. Cette baisse est naturellement imputable à des éléments factuels comme les fermetures de frontières, les restrictions Covid sur les voyages et l’admission au séjour, les perturbations diverses autour des voyages, etc. auxquels s’ajoutent les réticences des employeurs et des immigrés eux-mêmes face aux déplacements.
Les perspectives calculées par l’OCDE laissent entrevoir que ces flux migratoires n’atteindront pas leurs niveaux antérieurs pendant une certaine période en raison de facteurs comme une demande de main-d’œuvre plus faible, une restriction des voyages et des alternatives à la mobilité comme le télétravail. Selon le directeur du département de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’OCDE, Stefano Scarpetta, il existe « un risque que la pandémie et ses conséquences économiques annihilent une partie des progrès accomplis en matière de migration et d’intégration ». Et d’épingler le fait que « les dépenses publiques d’intégration, qui devraient être vues comme des investissements à long terme, peuvent se raréfier dans certains pays ». Pour lui, « il y aurait lieu de s’inquiéter si les restrictions de voyage et la fermeture des frontières se prolongeaient au-delà de ce qui est nécessaire pour empêcher la propagation du virus », ajoutant que « plus généralement, il faut se garder d’actions unilatérales remplaçant à nouveau le dialogue et la concertation sur les questions de migration ».
Des chiffres contrastés
Au niveau du bilan chiffré, le gros enseignement du rapport de l’OCDE est que les flux migratoires sont restés stables en 2018 et 2019 dans les pays concernés, mais qu’ils ont été interrompus durant la première moitié de 2020 en raison de la pandémie. Les pays membres (à l’exception de la Colombie et de la Turquie) ont admis approximativement 5,3 millions de nouveaux immigrés permanents en 2019, un niveau comparable à celui de 2018. Les flux ont continué à fléchir en Allemagne et aux États-Unis, les deux principaux pays d’accueil de l’OCDE, tandis qu’ils ont augmenté dans d’autres pays comme l’Espagne et le Japon.
Sur un plan général, le nombre de délivrances de permis de résidence a baissé de 46% en moyenne dans l’OCDE durant le premier semestre 2020. Dans le secteur des demandes d’asile, après deux années de fléchissement, le chiffre a augmenté de 11% en 2019 pour avoisiner les 1,2 millions, un nombre qui reste cependant très en-deçà de ceux de 2015 et 2016. Si on analyse ce chiffre global en détail, il apparaît qu’environ la moitié des demandes d’asile ont été déposées dans les pays européens de l’OCDE. Plus d’un cinquième de ces demandeurs provenaient d’Afghanistan, du Venezuela et du Honduras, tandis que le nombre de demandes émanant de ressortissants de pays du Moyen-Orient était à son niveau plancher depuis les années 2013-2014. Enfin, d’après des données partielles, le nombre de réfugiés admis dans les pays de l’OCDE a globalement baissé de 25% en 2019.
En ce qui concerne les migrations temporaires de travail (les personnes migrant pour une période limitée pour accomplir un travail déterminé), la progression enregistrée en 2017 (4,8 millions) et 2018 (5,1 millions) semble se poursuivre en 2019. Le pays le plus concerné par ce phénomène est la Pologne. Le flux d’étudiants connaît la même tendance avec plus d’1,5 millions de visas étudiants octroyés en 2018, soit 3% de plus qu’en 2017, une augmentation qui s’est poursuivie en 2019, notamment en Europe.
Vers un renforcement des vulnérabilités
Le rapport de l’OCDE estime que la situation des immigrés sur le marché du travail a continué de s’améliorer en 2019. Plus de deux tiers de ceux-ci occupaient un emploi tandis que près de 8,2% étaient au chômage, une diminution de 0,5% par rapport à 2018. Les conséquences de la pandémie de 2020 ont néanmoins de fortes chances de faire reculer les progrès emmagasinés ces dernières années dans l’OCDE. Les premiers résultats engrangés pour cette année a révélé sans surprise un renforcement des vulnérabilités des immigrés dans le domaine.
L’essentiel des mesures et réformes adoptées dans le secteur des migrations de travail durant la période 2018-2019 a répondu aux besoins émergents des professions hautement et moyennement qualifiées. Certains pays européens comme l’Allemagne ont assoupli leurs exigences en termes de niveau minimum d’éducation pour recruter des travailleurs venant de l’étranger, mais de nombreux autres ont mis en place des conditions plus strictes. De plus, durant le premier semestre de 2020, la pandémie a entraîné, dans la majorité des pays, la fermeture des bureaux de migration et des services consulaires, provoquant une augmentation conséquente des demandes en attente. En revanche, côté positif, la pandémie a également accéléré la réorganisation, la numérisation et la simplification des procédures administratives.
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