Photo 4 : Anil Keçeliöz

Anil KEÇELIÖZ

 

photo Kecelioz

“Nous vivons ici, donc nous devons connaître le mode de vie d’ici,

mais il ne faut pas oublier ses origines.”

Centre d’action interculturelle, 3 décembre 2024, Namur.

Témoignage :

Je m’appelle Anil Keçeliöz. J’ai quarante-quatre ans. Je vis depuis trois ans à Jemeppe-sur-Sambre. Je suis originaire de Çorum, à environ deux cents kilomètres d’Ankara. Je n’ai pas du tout le même parcours que la plupart des immigrés turcs. J’ai vécu très longtemps dans ma ville natale avec toute ma famille et mes amis. Pendant dix-neuf ans, j’ai enseigné l’anglais en Turquie.

En 2014, avec deux amis d’enfance, nous avons postulé pour enseigner le turc en Europe. Nos candidatures ont été retenues par le ministère de l’Éducation turc. Mon meilleur ami et moi nous avons été désignés pour enseigner en Belgique. Les cours étaient donnés après l’école à des enfants d’origine turque. Ils avaient des niveaux de connaissance de la langue très variables.

La première image de la Belgique que j’ai eue, c’est la rue de Mons à Marchienne-au-Pont ! Ma vision carte postale de l’Europe s’est heurtée à la réalité. Mais depuis j’ai appris à mieux connaître ce pays.

Ce qui est différent ici, c’est que la socialisation ne se fait pas uniquement au sein de la famille restreinte, les gens côtoient beaucoup d’autres personnes, ils ont beaucoup de loisirs. En Turquie, les gens n’ont pas beaucoup de hobbies, ils ont moins de loisirs et d’activités. On reste dans la sphère familiale ou on va boire un café dans un bar.

Les programmes scolaires mettent l’accent sur les sciences, les mathématiques, la physique, la géographie, l’histoire. Tout est basé sur les examens, la réussite. En Belgique, on apprend plus de choses aux enfants, comme faire la soupe par exemple (sourire).

Par contre en Turquie, quand on a un problème à la maison, il y a tout de suite une solution. Tu appelles le plombier, il arrive immédiatement. Il y a toujours des spécialistes disponibles dans tous les domaines. Les Belges sont plus bricoleurs, ils essaient de réparer eux-mêmes. Je les admire, ils sont manuels, ils se débrouillent. Ils peuvent passer trois heures dans leur jardin, alors qu’en Turquie, on paye un jardinier. C’est pour ça qu’on dit souvent : “Türkiye’de Yok Yok” (“En Turquie, il n’y a rien qu’il n’y ait pas”).

Alors que mon cœur était resté chez moi avec les miens, j’ai rencontré Caroline, qui terminait des études de médecine. Je l’ai épousée en 2019 à Marcinelle. Quand mon contrat de travail turc a pris fin, nous sommes partis nous installer durablement à Fethiye, en bord de Méditerranée. Ma femme aimait beaucoup la vie en Turquie, mais les conditions de travail étaient difficiles pour elle. En 2022, nous avons décidé de rentrer en Belgique pour de bon. Nous comptons y rester jusqu’à la pension et ensuite nous rêvons de passer six mois par an dans chacun de nos deux pays, et d’acheter une maison près de la mer.

Ma famille aime beaucoup Caroline. Et moi, je suis bien dans ma belle-famille : ils s’intéressent à mon pays et à sa culture. Ils ont visité la Cappadoce, Pamukkale… Il y a un grand respect mutuel. Je suis en quelque sorte marié avec les deux pays, je suis un peu l’interprète entre les deux cultures. Il fallait faire un choix, et nous avons opté pour la Belgique. Les Wallons sont chaleureux, mais la vie n’est pas du tout la même qu’en Turquie. Quand ma femme explique qu’elle est mariée à un Turc, les gens sont persuadés que je me suis marié pour les papiers. Alors elle leur répond que nous sommes ensemble depuis des années. C’est un stéréotype courant le mariage blanc, alors que moi j’avais un travail là-bas, des amis, une vie tranquille auprès des miens.

Quand les touristes vont en Turquie ils se rendent compte que les Turcs de là-bas vivent différemment de ceux qui sont en Belgique. Certains pensent qu’on y parle l’arabe ou que les femmes ne peuvent pas conduire.

Actuellement, je suis en recherche d’emploi. J’ai essayé d’obtenir une seconde mission en tant que professeur de turc mais le Covid-19 a tout chamboulé. Alors pour l’instant je travaille mon français. Il faut dire que ma femme et moi, nous parlons anglais entre nous. C’est difficile de trouver sa place quand on ne travaille pas. Au bureau on passe beaucoup de temps avec ses collègues, on fait des connaissances… Je suis quelqu’un de casanier, ça ne facilite pas les choses.

Il faut s’intégrer, bien sûr. Mais qui doit s’intégrer ? Qui intègre ? Est-ce que c’est le jeune Turc qui doit s’intégrer ou la société qui doit l’accepter ? Il y a une différence entre intégration et assimilation. Nous vivons ici, donc nous devons connaître le mode de vie d’ici, mais il ne faut pas oublier ses origines. Les oublier, c’est de l’assimilation. À l’inverse, quand par exemple il y a une activité organisée dans le milieu scolaire, les parents turcs n’y participent presque jamais. La non-participation à la vie sociale favorise le repli communautaire. C’est valable dans les deux sens.

La nouvelle génération est née en Belgique, ils ne connaissent pas ou très mal leur pays d’origine. Ils parlent souvent le turc à la maison ou l’apprennent en regardant des séries télévisées. Mais ils ne savent pas toujours que la Turquie est multiculturelle, que des personnes de cultures différentes y cohabitent. Le fait d’être né dans un pays et d’avoir des origines différentes renforce l’appartenance communautaire, ce qui est normal. Mais il ne faut pas oublier que les sociétés évoluent et que la nouvelle génération vivant en Turquie se modernise.

L’ensemble des photos et témoignages sont également repris dans l’ouvrage « Accords au présent », édité chez Couleur Livres.




Photo 3 : Amal El Bouiri

Amal EL BOUIRI

 

Photo mejdoubi

“Je suis fière de mon parcours, j’ai une clientèle fidèle, à 95 % Européenne. J’essaie de me diversifier, tout en gardant une touche orientale :

j’ajoute du curcuma ou du ras el hanout dans des plats plus européens.”

Restaurant “La Tanjia”, 25 janvier 2025, Auvelais.

Témoignage :

Je m’appelle Amal El Bouiri et je suis née il y a quarante-sept ans à l’hôpital Sainte-Élisabeth à Namur. Mes parents étaient originaires de Khouribga, la “ville du phosphate”.

Après leur mariage, ils sont venus à Namur avec ma grande sœur. Ils ne pensaient pas rester toute leur vie en Belgique. Ma mère faisait des ménages ; mon père a travaillé comme ouvrier, notamment dans le secteur automobile.

J’ai grandi à Namur. J’y ai fait toutes mes études avant de m’installer à Tamines, en 1998, dans la région d’origine de mon mari Thierry, qui est belge et musulman. On peut dire que je vis entre Namur et Charleroi et que je me sens bien dans les deux villes. Dès qu’il a mis les pieds au Maroc, mon mari a tout de suite adoré.

Il m’a toujours dit : “C’est ici que je veux vivre”. Nos deux enfants, Leila et Zakaria, sont nés à Namur. Depuis peu, je suis grand-mère d’une petite fille et d’un petit garçon.

Mon mari et moi nous avons travaillé dans la sécurité, puis comme agents pénitenciaires pendant pas mal d’années. Au début des années 2000, nous avons acheté cette maison de maître que mon mari a aménagée pour ouvrir ce restaurant, “La Tanjia”, le 11 avril 2019. Je travaillais régulièrement dans une brasserie de Charleroi, alors je me suis lancée dans l’aventure d’indépendante. Je suis une bonne cuisinière, j’aime accueillir et je suis naturellement conviviale.

Pour obtenir l’accès à la profession, la gestion ne m’a pas posé de problème mais je m’y suis reprise à deux fois : ma culture culinaire n’était pas assez étendue ! Les questions portaient uniquement sur la cuisine française, le gibier… Sur les vins français aussi. Rien sur le “Gris de Boulaouane”, par exemple. Moi qui voulais ouvrir un restaurant oriental ! Mais je me suis informée et j’ai obtenu le précieux document. Malgré les risques pris et les difficultés, je ne regrette pas ma décision. Nous avons fait face au confinement moins d’un an après l’ouverture, en organisant un service de livraison à domicile.

Je suis fière de mon parcours, j’ai une clientèle fidèle, à 95 % européenne. J’essaie de me diversifier, tout en gardant une touche orientale : j’ajoute du curcuma ou du ras el hanout dans des plats plus européens. Ma fille me seconde en cuisine, elle m’a même remplacée récemment.

Mon rapport à la religion est marqué par le respect et par une grande ouverture d’esprit. Je n’ai rien imposé dans ma maison. Je pense être une bonne musulmane et je pratique ma religion du mieux que je peux. Je suis concrètement charitable.

J’ai par exemple préparé des repas pour les hôpitaux pendant le Covid-19 et aussi pour les pompiers qui secouraient les sinistrés pendant les inondations.

Les jeunes d’origine étrangère de troisième génération vivent des temps difficiles. Les réseaux sociaux contribuent à cet état de choses, ils ont rendu les positions plus radicales. Il faut partager une religion de paix, d’amour et de tolérance. Apprendre que ce n’est pas parce qu’on respecte quelqu’un qu’on adhère à tout ce qu’il pense et dit. On ne doit rien imposer.

Les parents ont un rôle primordial à jouer. J’ai suivi la scolarité de mes enfants et je les ai protégés des mauvaises fréquentations. Les parents doivent aider leurs enfants en toutes circonstances.

Les enseignants sont un peu perdus. Il n’y a plus de respect pour leur fonction aujourd’hui. Ils devraient garder de la distance avec leurs élèves. Ils ne sont pas leurs copains.

Même les grands frères ne savent plus quoi faire avec cette génération. C’est facile de dire que c’est que à cause du racisme, qu’on ne veut pas de nous… Je connais des jeunes qui s’en sortent très bien. Il y a de la place pour tout le monde.

Les liens avec le pays et la culture d’origine se perdent. Ma fille parle très peu l’arabe, mon fils un peu mieux. Je regrette de ne pas y avoir été plus attentive de mon côté. À la maison, avec ma mère, on parlait l’arabe. Mais on lui répondait en français, pour qu’elle apprenne la langue.

Quand on veille à conserver ses racines, la mixité culturelle est enrichissante.

L’ensemble des photos et témoignages sont également repris dans l’ouvrage « Accords au présent », édité chez Couleur Livres.




Photo 2 : Alice Farida Mejdoubi

Alice Farida MEJDOUBI

 

Photo mejdoubi

“Un morceau de tissu ne dit rien de la pensée de celles qui le portent.

Il faut le prendre comme un outil d’autonomie qui permet aux filles de sortir de la maison.”

Maison de la Laïcité, 4 décembre 2024, Namur.

 

Témoignage :

Ma maman est orpheline, elle m’a donné le prénom de sa mère, Alice. Farida est le prénom de ma grand-mère paternelle. Ça veut dire “l’unique”. Je suis née à Bruxelles en 1972 et j’ai vécu jusqu’à douze ans entre Molenbeek et Schaerbeek. Ma mère est Belge, originaire de Bouillon.

Mon père est Marocain. Il est arrivé en France dans les années 1960 et a travaillé à l’aéroport d’Orly. Il raconte qu’une délégation belge recrutait sur place pour la STIB, avec un contrat de travail d’un an. Il s’est fait embaucher et y est resté jusqu’à la fin de sa carrière. Il est plutôt Soufi dans son approche de l’Islam, il privilégie la transformation intérieure, l’élévation spirituelle. Il était très tolérant et ouvert.

Mes parents se sont séparés quand j’avais sept ou huit ans pour des raisons inhérentes à la vie de couple. À l’époque, ma maman avait tout de même très peur parce que les enfants issus de couples mixtes étaient souvent emmenés à l’étranger. Mon père s’est remarié et il a refait sa vie avec une marocaine.

J’avais douze ans quand ma mère a voulu se rapprocher de son frère, qui habitait dans la région d’Auvelais. C’est mon premier choc culturel ! Je me suis sentie seule. Il n’y avait pas beaucoup d’étrangers là-bas. Mes études secondaires à Auvelais, comme d’ailleurs mes primaires, ont été chaotiques, difficiles. Je ne trouvais pas ma place. J’ai travaillé tôt et j’ai suivi des formations.

Je ne parle pas arabe, je ne connais que les mots grossiers, les gros mots d’enfant.

Quand j’étais adolescente, je ne me posais pas de questions sur le port du voile en rue. C’était normal pour moi. Mon voisin de palier me disait : “Tu ne peux pas sortir non voilée”. Mais je ne ressentais pas cette pression dans la rue.

Aujourd’hui, il y a un retour du religieux, un repli sur soi. Je l’ai constaté depuis la fin des années 1980. C’est l’époque des contrôles policiers au faciès. Il y a eu des persécutions, surtout à Bruxelles. La police n’était en général pas tendre avec les jeunes d’origine maghrébine. Parfois, je me faisais arrêter pour un contrôle parce qu’en tapant mon numéro de plaque, les policiers voyaient qu’il correspondait à un nom arabe. Il y a sans doute un lien entre ce harcèlement policier et le repli communautaire. Aujourd’hui les signes religieux musulmans sont présents dans la rue, et on constate aussi une pression communautaire, un contrôle social plus fort.

Pour ma part, je n’adhère pas à une religion, je suis plutôt en quête de spiritualité.

J’ai une vision inclusive de la laïcité. Elle doit être un bouclier pour toute forme d’extrémisme, en garantissant les libertés. Que ce soit dans le champ religieux ou politique. C’est un cadre indispensable qui permet une coexistence harmonieuse, mais il doit permettre des souplesses. Si vous enlevez le foulard à ma belle-mère qui est née avec, vous lui retirez son identité, elle ne se reconnaîtra plus. L’exemple de l’Angleterre permet à tous d’être soi-même. C’est beau.

Je suis sans doute plus ouverte à la diversité des pratiques cultuelles et culturelles que peuvent l’être les Belgo-Belges. Par exemple une de mes collègues se plaignait qu’un homme ne lui serrait jamais la main. Pour elle cela signifiait qu’il ne voulait pas toucher les femmes ! C’était sa croyance limitante. Je lui ai expliqué que ce monsieur ne lui serrait pas la main par respect pour sa propre femme, pas par rejet des femmes en général.

Le voile est un autre exemple. Il génère beaucoup de questionnements et de jugements. Mais un morceau de tissu ne dit rien de la pensée de celles qui le portent. Il faut le prendre comme un outil d’autonomie qui permet aux filles de sortir de la maison. Un jeune Turc que j’accompagnais m’a posé la question de l’incompatibilité entre la religion islamique et son homosexualité. Cela l’empêchait de vivre pleinement sa vie. Pour les questions relatives au texte fondateur et à leur interprétation je fais appel à l’islamologue Hicham Abdel Gawad qui en l’occurrence a pu éclairer ce jeune garçon sur la question.

Par contre, j’ai un ami qui ne me parle plus depuis les attentats de Madrid. C’est difficile de déconstruire un traumatisme.

Je n’ai jamais mis les pieds au Maroc et je ne compte pas m’y rendre un jour. Le Maroc n’est pas un pays démocratique. J’ai d’ailleurs refusé la nationalité marocaine. Je suis quelqu’un qui fume, qui sort et qui boit de l’alcool. Ce sont mes choix et je n’entends pas les abandonner.

Aux jeunes de la troisième génération je dirais : cherchez à savoir qui vous êtes vraiment, ce que vous voulez vraiment, tout en restant bienveillants.

L’ensemble des photos et témoignages sont également repris dans l’ouvrage « Accords au présent », édité chez Couleur Livres.




Photo 1 : Abdellah Sabbani

Abdellah SABBANI 

 

photo sabbani

“Je dirais aux parents qu’il ne faut pas démissionner. Ici l’école instruit. Elle n’éduque pas. 

Les parents lui confient leurs enfants sans prendre leur part dans l’éducation de ceux-ci.” 

Centre culturel marocain de Namur, mosquée Salam, 4 février 2025, Namur. 

Témoignage :

Je suis né le 15 octobre 1950 à Taounate, à quatre-vingt kilomètres de Fès. J’y ai vécu pendant dix-huit ans et j’y ai fait mes études primaires et secondaires. Ensuite, diplômé de l’École Normale de Fès, j’y ai enseigné les langues arabe et française et puis j’ai postulé au programme d’Ouverture aux langues et aux cultures signé entre la Belgique et le Maroc. 

Je suis donc parti pour la Belgique le 15 novembre 1985, j’ai rejoint mon frère aîné déjà installé à Anvers avec le même type de contrat. J’ai fait la navette entre Anvers et Namur où je donnais cours dans les écoles partenaires du projet. En février 1986, je me suis installé à Salzinnes et pendant près de vingt ans, j’ai enseigné la langue et la culture marocaines à des jeunes issus essentiellement de la deuxième génération d’immigrés. Depuis la fin de mon contrat marocain en 2004, je donne cours de religion islamique dans des écoles primaires communales et des écoles de la Communauté française namuroises. 

Fin 2004, je suis devenu responsable du Centre culturel marocain de Namur et de la mosquée Salam. 

Mon pays m’a manqué durant toutes ces années : dans un coin de ma tête j’ai longtemps eu le projet d’y retourner pour de bon. En 1988, j’avais fait venir ma femme, originaire elle aussi de Taounate, et les deux enfants que nous avions alors. Mais ils sont repartis deux ans plus tard. Nous voulions qu’ils poursuivent leur scolarité au Maroc puisque j’avais l’intention d’y revenir moi aussi quelques années plus tard. Je ne voulais pas gâcher leur parcours d’enseignement. Trois fois par an, à chaque période de vacances, j’allais les retrouver là-bas. 

Finalement, en 1996, toute ma petite famille s’est installée avec moi, ici à Namur. Aujourd’hui j’ai quatre enfants, deux garçons et deux filles, tous installés à Namur. Ils m’ont donné sept petits-enfants âgés de un à dix-huit ans, qui ont besoin de leur papy. Ma famille est ici. 

Avec mon implication active dans la vie namuroise, c’est la principale raison pour moi de rester vivre ici. Je suis à la retraite depuis 2015, mais je reste très actif et je continue à collaborer avec des associations socio-culturelles, essentiellement namuroises, comme je l’ai toujours fait.

J’ai été administrateur au CAI, administrateur à la maison de jeunes de Salzinnes… De 2004 à 2021, j’ai été président du Centre culturel marocain de Namur, rue Marie-Henriette, là où se trouve aussi, au rez-de-chaussée, la mosquée Salam. J’ai aussi été président du Conseil consultatif des locataires et propriétaires du foyer namurois.

Le 19 juillet 1974, l’État Belge a reconnu le culte islamique. En tant que membre de l’Exécutif des Musulmans de Belgique, j’étais alors responsable des mosquées et des imams pour la Wallonie. J’ai contribué à l’élaboration du dossier de reconnaissance des mosquées en 2005. Ce processus a pris du temps, il a fait l’objet de nombreuses discussions. Il fallait passer par l’Exécutif des Musulmans de Belgique, le ministère de la Justice, la Région wallonne et la province de Namur. Les premières reconnaissances ont pris effet en 2009. Les pouvoirs publics étaient très prudents. Aujourd’hui, il y a vingt-six mosquées en Région de Bruxelles-Capitale et trente-neuf en Région wallonne.

Je ne peux pas dire que j’ai vécu des moments difficiles à cause de mes origines. Je n’en ai pas souffert personnellement. J’avais un contrat de travail assuré, une vie sans histoires. Non, j’ai plutôt souffert pour les autres.

À partir de 2004, en tant que professeur de religion et président du CCMN et de la mosquée, je recevais des gens en souffrance qui se plaignaient de discriminations à l’emploi en raison de leur nom et de leur race et origine. Une stigmatisation relayée par certains politiques ou journalistes. Dans un premier temps, je les réconfortais parce que mon pouvoir de résoudre certains problèmes de société est limité.

Mes enfants ont fait des études et ils ont du travail, ils n’ont pas de problèmes.

Après la Deuxième Guerre mondiale, la Belgique avait besoin de bras pour reconstruire le pays et de jeunesse pour le repeupler. Mais ensuite, l’État a oublié ces immigrés et ne les a pas accompagnés dans leur vie cultuelle, sociale et culturelle. Après la reconnaissance du culte islamique, pendant trente-cinq ans rien n’a bougé, y compris pour les Belges musulmans ! Les premiers immigrés Italiens, eux, pouvaient aller à l’église s’ils étaient croyants mais nous, nous n’avions pas de lieu de culte.

Au début des années 1980, notre communauté namuroise a pratiqué son culte provisoirement dans une salle. Après quelques années, en 1988, nous avons acheté une maison que nous avons transformée en lieu de culte.

Namur est une ville moyenne principalement administrative, qui offre des emplois dans le tertiaire. Il y a peu d’industries. Les premiers arrivants, peu scolarisés pour la plupart, ont occupé les quelques postes disponibles, surtout manuels, et d’autres ont ouvert des petits commerces.

J’ai été à l’origine de la création d’un cours de langue et de culture marocaines dans notre centre et j’y ai enseigné moi-même. Nous accueillons près de 230 élèves dans des locaux à l’Henallux, surtout le dimanche. Nous leur apprenons la culture, et la langue arabe classique, celle qui est parlée dans tout le monde arabe. C’est la langue de l’écrit, le véhicule qui permet de se comprendre au-delà des cultures régionales ou locales, qui sont riches et variées. Tous les enfants y sont les bienvenus.

Les jeunes de la troisième génération sont beaucoup plus occupés : ils ont des loisirs, font du sport… Cela va de pair avec une perte de la langue et de la culture d’origine. Une langue qu’on ne parle pas meurt peu à peu.

Mon parcours est fait de joies et de peines. Voir aboutir le projet de reconnaissance des mosquées a été une grande joie, comme d’avoir pu aider certaines familles en difficulté à s’en sortir en les accompagnant entre autres auprès de différentes administrations. Ne pas voir les miens au quotidien au Maroc m’a valu des moments de déchirement. L’arrêt des reconnaissances de nouvelles mosquées après 2012 m’a fortement peiné.

Aux jeunes d’aujourd’hui, je dirais que l’école est essentielle. Qu’il faut privilégier le dialogue et ne pas hésiter à demander de l’aide. Ils sont des citoyens comme les autres. Avec les droits et les devoirs qui en découlent. Il y a beaucoup d’exemples de réussite dans la communauté d’origine marocaine : des ministres, des parlementaires, des médecins, des sportifs, des ingénieurs, des commerçants…

Je dirais aux parents qu’il ne faut pas démissionner. En tant qu’enseignant, pendant de nombreuses années j’ai constaté l’absence des parents d’élèves aux réunions qui les concernaient. Vous imaginez ce qui se passe dans la tête d’un enfant qui voit les parents des autres et pas les siens ? Celui qui oublie ses origines et sa religion, quelles qu’elles soient, perd une partie de sa culture.

Le but d’une religion est de mettre la personne dans le droit chemin. Celui qui ignore sa religion et ne la transmet pas manque à son devoir de parent. Quand j’entends que tel jeune marocain est en prison, ça me fait mal au cœur. C’est de la faute des parents qui n’ont pas fait leur devoir correctement avant la majorité de leur enfant. À leur décharge il faut dire qu’au Maroc, l’école éduque. Ici, elle instruit, elle n’éduque pas. Les parents lui confient leurs enfants sans prendre leur part dans l’éducation de ceux-ci. Ils doivent veiller sur eux, surtout sur la route de l’école et sur leurs fréquentations.

Notre fonds de commerce, ce sont nos enfants, qui feront l’avenir de ce pays avec les autres belges de toutes origines.

L’ensemble des photos et témoignages sont également repris dans l’ouvrage « Accords au présent », édité chez Couleur Livres.




Vœux du CAI – 30 janvier 2025


✨ Le 30 janvier 2025, nous organisions nos premiers vœux.

Cette séance était une occasion toute spéciale pour revenir sur notre histoire, aborder nos perspectives pour 2025, nos recommandations prioritaires pour la politique locale future mais surtout nos espoirs pour les années à venir.
L’entrée en fonction du nouveau gouvernement fédéral et sa politique migratoire annoncée renforcent la nécessité de défendre ensemble les droits humains en 2025. ✊
🥳 Mais pour l’heure, l’atmosphère était chaleureuse et conviviale ! Nous remercions les nombreuses personnes venues nous rencontrer et trinquer à nos amitiés d’hier et de demain ! 🥂

Nous avons le plaisir de partager avec vous les photos réalisées par Lillo Canta pour l’occasion. Cliquez sur les flèches pour les faire défiler.

 

Pourquoi organiser ces voeux ?!

En 2025, le CAI marque un tournant historique en célébrant ses 40 ans d’engagement pour une société interculturelle, l’occasion de mettre en lumière les valeurs fondamentales qui guident notre action depuis quatre décennies…





Valorisation des ILI

Présentez votre association en général (vision, missions, territoire,…). Soyez concrets et pragmatiques, pensez à ceux qui vous liront ! :-)
Présentez votre projet ILI en quelques mots.
Drag & Drop Files, Choose Files to Upload