Mejdoubi

 

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“Un morceau de tissu ne dit rien de la pensée de celles qui le portent.

Il faut le prendre comme un outil d’autonomie qui permet aux filles de sortir de la maison.”

Maison de la Laïcité, 4 décembre 2024, Namur.

 

Témoignage :

Ma maman est orpheline, elle m’a donné le prénom de sa mère, Alice. Farida est le prénom de ma grand-mère paternelle. Ça veut dire “l’unique”. Je suis née à Bruxelles en 1972 et j’ai vécu jusqu’à douze ans entre Molenbeek et Schaerbeek. Ma mère est Belge, originaire de Bouillon.

Mon père est Marocain. Il est arrivé en France dans les années 1960 et a travaillé à l’aéroport d’Orly. Il raconte qu’une délégation belge recrutait sur place pour la STIB, avec un contrat de travail d’un an. Il s’est fait embaucher et y est resté jusqu’à la fin de sa carrière. Il est plutôt Soufi dans son approche de l’Islam, il privilégie la transformation intérieure, l’élévation spirituelle. Il était très tolérant et ouvert.

Mes parents se sont séparés quand j’avais sept ou huit ans pour des raisons inhérentes à la vie de couple. À l’époque, ma maman avait tout de même très peur parce que les enfants issus de couples mixtes étaient souvent emmenés à l’étranger. Mon père s’est remarié et il a refait sa vie avec une marocaine.

J’avais douze ans quand ma mère a voulu se rapprocher de son frère, qui habitait dans la région d’Auvelais. C’est mon premier choc culturel ! Je me suis sentie seule. Il n’y avait pas beaucoup d’étrangers là-bas. Mes études secondaires à Auvelais, comme d’ailleurs mes primaires, ont été chaotiques, difficiles. Je ne trouvais pas ma place. J’ai travaillé tôt et j’ai suivi des formations.

Je ne parle pas arabe, je ne connais que les mots grossiers, les gros mots d’enfant.

Quand j’étais adolescente, je ne me posais pas de questions sur le port du voile en rue. C’était normal pour moi. Mon voisin de palier me disait : “Tu ne peux pas sortir non voilée”. Mais je ne ressentais pas cette pression dans la rue.

Aujourd’hui, il y a un retour du religieux, un repli sur soi. Je l’ai constaté depuis la fin des années 1980. C’est l’époque des contrôles policiers au faciès. Il y a eu des persécutions, surtout à Bruxelles. La police n’était en général pas tendre avec les jeunes d’origine maghrébine. Parfois, je me faisais arrêter pour un contrôle parce qu’en tapant mon numéro de plaque, les policiers voyaient qu’il correspondait à un nom arabe. Il y a sans doute un lien entre ce harcèlement policier et le repli communautaire. Aujourd’hui les signes religieux musulmans sont présents dans la rue, et on constate aussi une pression communautaire, un contrôle social plus fort.

Pour ma part, je n’adhère pas à une religion, je suis plutôt en quête de spiritualité.

J’ai une vision inclusive de la laïcité. Elle doit être un bouclier pour toute forme d’extrémisme, en garantissant les libertés. Que ce soit dans le champ religieux ou politique. C’est un cadre indispensable qui permet une coexistence harmonieuse, mais il doit permettre des souplesses. Si vous enlevez le foulard à ma belle-mère qui est née avec, vous lui retirez son identité, elle ne se reconnaîtra plus. L’exemple de l’Angleterre permet à tous d’être soi-même. C’est beau.

Je suis sans doute plus ouverte à la diversité des pratiques cultuelles et culturelles que peuvent l’être les Belgo-Belges. Par exemple une de mes collègues se plaignait qu’un homme ne lui serrait jamais la main. Pour elle cela signifiait qu’il ne voulait pas toucher les femmes ! C’était sa croyance limitante. Je lui ai expliqué que ce monsieur ne lui serrait pas la main par respect pour sa propre femme, pas par rejet des femmes en général.

Le voile est un autre exemple. Il génère beaucoup de questionnements et de jugements. Mais un morceau de tissu ne dit rien de la pensée de celles qui le portent. Il faut le prendre comme un outil d’autonomie qui permet aux filles de sortir de la maison. Un jeune Turc que j’accompagnais m’a posé la question de l’incompatibilité entre la religion islamique et son homosexualité. Cela l’empêchait de vivre pleinement sa vie. Pour les questions relatives au texte fondateur et à leur interprétation je fais appel à l’islamologue Hicham Abdel Gawad qui en l’occurrence a pu éclairer ce jeune garçon sur la question.

Par contre, j’ai un ami qui ne me parle plus depuis les attentats de Madrid. C’est difficile de déconstruire un traumatisme.

Je n’ai jamais mis les pieds au Maroc et je ne compte pas m’y rendre un jour. Le Maroc n’est pas un pays démocratique. J’ai d’ailleurs refusé la nationalité marocaine. Je suis quelqu’un qui fume, qui sort et qui boit de l’alcool. Ce sont mes choix et je n’entends pas les abandonner.

Aux jeunes de la troisième génération je dirais : cherchez à savoir qui vous êtes vraiment, ce que vous voulez vraiment, tout en restant bienveillants.

L’ensemble des photos et témoignages sont également repris dans l’ouvrage « Accords au présent », édité chez Couleur Livres.

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