Les migrants en transit, des jeunes « nomades » qui traversent la Belgique…


Constats de terrain d’un accompagnateur interculturel sur la province de Namur

Introduction

Durant les mois de juin et juillet 2021, Rahmi, un accompagnateur interculturel du Centre d’action interculturelle de la province de Namur (CAI), a été chargé d’encadrer un nouveau travailleur engagé en tant que facilitateur interculturel pour la communauté érythréenne. Cette tâche d’encadrement au sein des collectifs citoyens a permis à Rahmi d’observer, d’une part, la réalité vécue quotidiennement par les migrants en transit aidés par des collectifs citoyens et, d’autre part, le travail à effectuer par le facilitateur interculturel.

Ce travail est complexe et demande une adaptation permanente concernant l’approche à adopter face au public cible. En effet, il est nécessaire de faire preuve d’une importante diplomatie ainsi que de bienveillance dans les interactions avec les bénévoles composant les collectifs citoyens. Ces derniers, face à la réalité vécue par les migrants en transit, se sont très vite mobilisés et engagés afin de subvenir à leurs besoins primaires.

Par migrant en transit, nous entendons des migrants en route pour l’Angleterre, étant de passage par différents pays européens dont la Belgique. Parmi ces migrants, beaucoup sont originaires d’Erythrée. Rahmi a également rencontré des personnes originaires d’Ethiopie, du Tchad et du Soudan. Etant donné que notre facilitateur interculturel a été engagé spécifiquement pour la communauté érythréenne, cette analyse se concentre spécifiquement sur cette dernière.

LA SITUATION AVANT L’ÉMIGRATION

Il nous semble intéressant d’essayer de comprendre les raisons poussant autant de personnes, majoritairement des jeunes hommes de 15 à 25 ans, à quitter leur pays. En effet, leur départ les conduit sur des routes migratoires risquées, empreintes de beaucoup de violence, avec le but ultime d’atteindre leur destination de « rêve », l’Angleterre. Sur ces routes migratoires, nombre d’entre eux se retrouvent dans des situations extrêmement violentes telles que l’exploitation en Lybie en tant qu’esclave, parfois pendant des années. Ils font également face au racisme dans les différents pays traversés (entre autres, le Soudan, la Lybie, l’Italie et la Suisse avant d’arriver en Belgique). Enfin, pour traverser la Méditerranée, les migrants doivent s’acquitter de sommes astronomiques auprès de passeurs.

Chaque parcours migratoire est unique, certains arrivent par la Turquie, d’autres la Grèce, d’autres encore par la Macédoine ou la Serbie. La plupart demande l’asile en Allemagne et se retrouve finalement en Belgique l’année suivante. Une fois en Belgique, avec l’idée en tête de rejoindre l’Angleterre, ces migrants se font aider par les bénévoles des collectifs citoyens.

La raison de ces migrations en provenance d’Erythrée est simple : la guerre opposant l’Ethiopie à l’Erythrée. Auparavant, L’Érythrée était une province éthiopienne, annexée par l’Éthiopie en 1962. Au terme d’un long conflit, de 1961 à 1991, l’Erythrée a obtenu son indépendance en 1993. Actuellement, l’Ethiopie revendique à nouveau l’Erythrée. De ce fait, le service militaire en Erythrée est obligatoire mais surtout, à durée indéterminée. C’est pourquoi de nombreux jeunes hommes fuient le pays afin d’éviter la guerre à laquelle ils sont obligés de prendre part.

Concernant l’Erythrée, la langue parlée est le tigrinya. Du point de vue de l’éducation, le niveau scolaire ne dépasse pas le CESI (en termes de comparaison avec le niveau d’étude en Belgique) avec comme raison l’obligation du service militaire à partir de l’âge de 15 ans sans date de fin. La formation et l’emploi en Erythrée se résument au service militaire à durée indéterminée. En ce qui concerne la religion dans le pays, la majorité des Erythréens sont de confession orthodoxe, mais il y a une minorité de catholiques et de musulmans présents dans le pays.

La migration Erythréenne est donc une migration très jeune et différente des autres vagues qui étaient provoquées par des raisons socio-économiques. Nous pourrions qualifier cette immigration de « nomade », car elle bouge en permanence, et ne souhaite pas s’installer ailleurs qu’en Angleterre. 

LA DÉCISION DE MIGRER ET LE PROJET MIGRATOIRE

Dû au conflit entre l’Erythrée et l’Ethiopie et par extension l’obligation du service militaire à durée indéterminée, l’instinct de survie pousse la jeunesse Erythréenne à fuir l’horreur vécue au sein du pays depuis les années 2014-2015.

D’après les explications des migrants en transit rencontrés, les jeunes filles doivent également prendre les armes. Si elles ne le font pas, elles sont sommées d’enfanter afin de « produire de futurs militaires » pour « servir la cause ». Pour les jeunes filles, la route migratoire est d’autant plus difficile car elles sont confrontées à la prostitution forcée.

Pourquoi cette obsession de l’Angleterre et non un autre pays européen ?

Cette décision pour l’Angleterre semble être essentiellement composée de trois raisons :

  • Une fois que le migrant arrive à mettre ses pieds sur le sol anglais, il aura automatiquement un titre de séjour.
  • La connaissance de la langue, l’anglais.
  • L’emploi est plus facile à trouver là-bas.

Les trois raisons susmentionnées constituent les motivations échangées dans le réseau interne de la communauté Erythréenne. Celles-ci deviennent un mythe faisant passer l’Angleterre pour l’Eldorado à atteindre à tout prix. Or, les lois commencent à se durcir en Angleterre, rendant l’immigration davantage complexe une fois la destination atteinte et les emplois disponibles ne sont très souvent que précaires.

 

L’ADAPTATION AU PAYS D’ACCUEIL ET LE CHOC MIGRATOIRE

Parmi les migrants Erythréens rencontrés, deux types de profil se dessinent :

  • Le migrant toujours en transit pour l’Angleterre,
  • Le migrant qui décide de demander la protection internationale pour rester en Belgique et s’y établir.

Pour le premier profil, leur but est de monter dans un camion clandestinement afin d’atteindre Calais et à partir de là, rejoindre l’Angleterre en bateau. Cependant cette tâche n’est pas aisée car les contrôles sont stricts et les chauffeurs routiers sur leur garde. Souvent, lorsqu’ils ont des soupçons, ils préviennent la police locale de Calais. Une fois arrivés sur place, la police intercepte les clandestins et ce, souvent de façon très violente (violences physiques, gaz lacrymogène, etc.). Rahmi a rencontré, au sein des collectifs, un jeune migrant ayant perdu un œil suite aux violences policières subies. Il n’est également pas rare que les migrants reviennent avec des membres cassés : soit en tombant d’un camion, soit suite à des violences policières.

Concernant le deuxième profil, les migrants décidant de faire une DPI pour s’installer en Belgique, leur décision est basée sur l’accumulation d’échecs et de souffrances vécus durant les nombreuses tentatives d’atteindre l’Angleterre. Le migrant baisse alors les bras et décide de tenter une DPI en Belgique. Cette décision est donc généralement un dernier recours.

D’après les discussions menées, le plus difficile à vivre pour les migrants est l’incertitude permanente vécue ainsi que les traumas vécus lors de leur parcours migratoire. Ces derniers constituent souvent, entre autres, les raisons d’addictions diverses. En effet, la consommation d’alcool et de drogues sont omniprésentes chez ce public. Ces consommations provoquant des états seconds sont sources de conflits entre eux mais constituent également une source de tension avec la population locale qui assistent à des comportements déviants sans connaitre les raisons. Les préjugés et le racisme surgissent alors.

Les liens créés avec les bénévoles  

Les migrants en transit créent de solides liens affectifs avec les bénévoles des collectifs. Ils apprécient énormément l’humanité, la bienveillance et la solidarité dont font preuve ces derniers. Les migrants désignent les bénévoles par des surnoms tels que « maman », « mamy », aux bénévoles plus âgées.

Cela représente pour eux une marque de respect. Ces dernières les voient également comme leurs enfants.

Malgré les différences culturelles, une sorte de famille se constitue grâce l’entraide des bénévoles. Ces liens affectifs sont consolidés par le fait que les migrants ont rarement la possibilité d’entrer en contact avec leur famille : les endroits d’où ils sont originaires ne sont souvent pas équipés de connexion internet. Leur unique moyen d’avoir des contacts avec est la Croix-Rouge de Belgique qui mène des actions de reconnexion familiale en donnant la possibilité aux migrants de contacter leur famille par téléphone satellite.

Cependant, en tant que professionnel, il est important de baliser directement les limites de ses actions car ce public spécifique a d’énormes besoins ne pouvant malheureusement pas tous être comblés au vu des réponses structurelles encore inexistantes.

LA VIE ACTUELLE EN BELGIQUE

Relations intracommunautaires et santé mentale :

La santé mentale des migrants en transit est en péril.

En effet, ces derniers sont très souvent confrontés à des tensions au sein des lieux d’accueil, sur les parkings. Ils sont parfois victimes de violences policières et la consommation d’alcool et autres substances est monnaie courante. Tous ces facteurs créent de nouveaux traumas qui se superposent à d’autres traumatismes vécus pendant les années de traversée avant d’arrivée en Belgique.

Insertion socioprofessionnelle :

Concernant les Migrants en Transit, ils ne sont pas dans l’optique de rester et de travailler en Belgique. Les collectifs des citoyens qui ont une structure d’accueil leur permet de s’installer, de se reposer, de manger, de boire, prendre une douche, charger leur gsm. Le quotidien des jeunes est d’attendre le soir pour trouver le camion qui pourra les emmener en Angleterre. En ce qui concerne les collectifs des citoyens qui n’ont pas de structure d’accueil, les migrants sont hébergés par des membres bénévoles des collectifs. 

En ce qui concerne les Erythréens qui ont le statut de réfugié, il existe de nombreux freins à l’insertion dans une formation qualifiante ou un emploi.

Et ce, pour plusieurs raisons :

  • Ils ont dû quitter l’école quand ils avaient 15 ans sans avoir l’opportunité d’accéder à un métier.
  • Ils n’ont pas nécessairement travaillé pendant leurs parcours à part du travail polyvalent pour récolter de l’argent et payer le passeur.
  • Ils n’ont pas une idée claire de ce qu’ils veulent faire.
  • Il y a la barrière de la langue.
  • Il y a les exigences des opérateurs d’ISP, les tests d’admissions sont très compliqués pour ces jeunes.

Pour leur intégration sur le marché de l’emploi en Belgique, Il y a un double travail à faire…

Premièrement, il faut co-construire le projet professionnel des jeunes sur base des acquis qu’ils ont pu obtenir dans leurs trajectoires de vie, et ce en prenant en compte leur parcours et tout leur vécu.

Deuxièmement, il est nécessaire de sensibiliser les opérateurs d’ISP tels que les CISP et EFT sur les conditions d’admission qui sont parfois exigeantes pour de tels publics, tout en renforçant les modules de « pré-ISP » qui permettent de préparer ces publics pour une entrée en formation chez un acteur d’ISP.  

Ce travail d’accompagnement global et plus spécifiquement sur l’ISP et de sensibilisation doit se faire via une bonne triangulation avec le réseau des bénévoles. Chaque acteur – le migrant, le bénévole, l’accompagnateur ou l’acteur ISP soit connaître son rôle et sa complémentarité avec les autres intervenants. Souvent, les bénévoles, bien que pavés de bonnes intentions, sont dans un lien émotionnel fort avec les jeunes et souhaitent les faire évoluer rapidement vers une intégration. Hors cette dernière peut prendre plus de temps que pour n’importe quel autre jeune d’une autre culture ayant vécu l’exil.