1983/1985 – Constitution de différentes commissions pour définir les axes d’action du Centre socioculturel des immigrés

1983/1985 – Constitution de différentes commissions pour définir les axes d’action du Centre socioculturel des immigrés

À la suite de l’étude de la Fondation Roi Baudouin et d’une réflexion avec l’assemblée générale, se constituent différentes commissions de concertation pour le développement d’actions. Les principaux axes d’action du Centre sont alors : la scolarisation des enfants d’immigrés, la formation des professionnels du secteur et l’information (à travers un centre de documentation et l’édition de publications), l’action sociale et culturelle (à travers des expositions, animations, conférences, etc.), la recherche et les services.

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Axes stratégiques d’intervention :

☑ Accompagnement
☑ Interpellation
☑ Travail en réseau

Thématiques traversées par l’activité :

Générales :

☑ Citoyenneté
☑ Enseignement / formation / emploi
☑ Juridique / justice
☑ Logement
☑ Mobilité
☑ Santé

Spécifiques :

☑ Intégration
☑ Interculturalité
☑ Lutte contre les discriminations
☑ Lutte contre le racisme

 




Présentation du livre

Accords au présent : Résonances turques et marocaines en namurois

Ahmed Ahkim

Lillo Canta (photos et entretiens)

Aux éditions Couleur Livres

Cet ouvrage s’inscrit dans le cadre du soixantième anniversaire des accords bilatéraux entre la Belgique et le Maroc, ainsi qu’entre la Belgique et la Turquie, signés respectivement en 1964. Fruit d’un travail collectif mené par le Centre d’action interculturelle (CAI) de la province de Namur, il poursuit une démarche entamée en 2014 à l’occasion du cinquantième anniversaire, en mettant cette fois à l’honneur les récits et les portraits de la génération suivante. À travers des textes, des photographies, des entretiens et des ateliers d’expression, ce livre donne à voir et à entendre des parcours de vie singuliers, témoins de l’évolution des communautés marocaines et turques sur le territoire namurois. Plus qu’un simple recueil de témoignages, il se veut un outil de transmission, de mémoire et de dialogue interculturel, ancré dans une réalité locale mais ouverte sur des enjeux sociétaux plus larges.

Pour vous procurer un ou plusieurs exemplaires, contactez-nous ! 081 73 71 76 – emily@cainamur.be




Introduction aux témoignages

Description générale

Cette galerie de portraits expose les parcours d’immigration de femmes et d’hommes, ébauchés pour la plupart il y a une soixantaine d’années et poursuivis au fil des générations jusqu’à nos jours.

Elle ponctue les commémorations des soixante ans des accords bilatéraux signés entre la Belgique et le Maroc d’une part, la Belgique et la Turquie d’autre part, visant au recrutement d’une main-d’œuvre à des fins économiques.

À la différence des témoignages recueillis à l’occasion des commémorations de 2014, ce sont ici les deuxième et troisième générations qui sont majoritairement représentées.

Des portraits authentiques

Ces photographies en pose et lumière naturelles ont été prises à main levée avec un “objectif 50 mm à grande ouverture”, dont l’angle de vue est le plus proche de la vision humaine.

Saisies dans l’environnement choisi par chaque personne, ces images sont les témoins de rencontres en tête-à-tête vécues dans des lieux de vie privée ou professionnelle, de souvenirs d’enfance ou de convivialité.

Ces femmes et hommes, jeunes ou moins jeunes, d’origine marocaine ou turque, ayant résidé ou résidant dans la province de Namur, se sont volontiers prêtés à l’exercice, se racontant et se livrant avec simplicité, sur base d’un canevas souple de questions. C’était pour beaucoup la première fois qu’ils s’exprimaient sur leur parcours à travers celui de leurs ascendants. La première fois qu’ils mettaient des mots, des lieux et des dates sur leur histoire familiale.

Ces personnes ne constituent en aucun cas un “panel représentatif” au sens où l’entendent les sociologues. Elles ont été sollicitées en fonction de relations professionnelles ou personnelles de l’équipe du Centre d’action interculturelle de la province de Namur.

Des héros du quotidien

Volontairement courts, ces récits mettent en scène des héroïnes et héros de tous les jours. Ils évoquent avec émotion des histoires de sauts dans l’inconnu, de déchirements familiaux, de parcours semés de doutes et d’espoir, de naissances et de constructions compliquées de nouveaux pôles familiaux et de références. Ce sont des récits édifiants de cheminements riches, plus ou moins ardus, parfois douloureux et semés d’embûches.

Les premières années, tendues souvent vers des objectifs de courts et moyens termes, ont généré des projets durables qui redéfinissent désormais la notion de citoyenneté belge.

Cette galerie de portraits expose aussi les parcours différents d’enseignants turcs et marocains venus partager ici leur connaissance de la langue et de la culture de leur pays avec les enfants d’immigrés. Leur motif d’immigration diffère, ils portent un regard croisé original sur leurs communautés d’origine installées à Namur.

Les “Je” pour confronter les “Ils”

Ces témoignages éclairent à leur manière la grande diversité des parcours. Ils sont de précieux contrepoints et compléments d’information qui donnent des couleurs et de l’épaisseur aux chiffres et aux études scientifiques.

Ils ont cette force que transmet l’expérience, le vécu ordinaire de citoyens qui nous ressemblent au-delà de leurs antécédents extra-nationaux et de leurs différences.

Je vous remercie toutes et tous chaleureusement pour votre patience et votre confiance avant, pendant et après nos rencontres. Je salue l’honnêteté et la spontanéité de vos propos, votre courage aussi, parce qu’il en faut pour affronter le regard des autres, connus ou inconnus.




Photo 19 : Yasemin Ülger

Yasemin ÜLGER

 

photo ulger

“J’aime participer aux activités de l’école, aux événements organisés au travail ou aux fêtes. Cependant, je garde un fort attachement à ma culture familiale et à ma religion.

Cela fait partie de mon identité.”

Centre d’action interculturelle, 27 décembre 2024, Namur.

Témoignage :

Je suis la fille de Musa, mon père, qui est aujourd’hui à mes côtés. Ma sœur, mon petit frère et surtout ma maman occupent une place précieuse dans ma vie. J’ai quarante-et-un ans et je suis mère de deux enfants : Havva, onze ans, et Göktug, un an. J’ai suivi des études d’éducatrice, et pendant quinze ans, j’ai exercé en tant que médiatrice interculturelle, notamment au CAI. Actuellement, je travaille comme collaboratrice à l’administration du personnel au CHRSM (Centre hospitalier régional Sambre et Meuse) à Namur.

Mon grand-père paternel est arrivé à Namur en 1966, avec pour objectif de soutenir financièrement sa famille restée en Turquie. Trois ans plus tard, mon père l’a rejoint. Il avait dix-sept ans. Il a effectué une année d’études techniques avant de se lancer dans le secteur de la menuiserie. Entre 1972 et 1974, il est rentré en Turquie pour accomplir son service militaire, avant de revenir à Namur. Il a ensuite poursuivi une longue et enrichissante carrière, notamment en tant que chef d’équipe chez Châssis Norma. Il vit à Salzinnes.

De mon côté, je suis arrivée à Namur en 1984 avec ma mère et mon grand frère. Malgré une offre de travail en Turquie, mon père a choisi de nous installer définitivement ici et nous a fait venir auprès de lui. Ma petite sœur et mon petit frère sont nés à Namur.

Le parcours de mon mari est assez différent. Nous nous sommes mariés en Turquie en août 2008. Serhat a ensuite emménagé en Belgique avec moi, mais il a eu quelques difficultés à s’adapter au climat et à la mentalité générale.

Les immigrés turcs qui vivent ici viennent principalement d’Emirdağ, bien que de nombreuses familles, comme la mienne, viennent plutôt d’Anatolie centrale. Je suis originaire de Yozgat. En famille, nous allions en Turquie tous les trois ou quatre ans. Bien qu’à ces occasions, la famille nous sollicitait beaucoup, mes parents ont toujours voulu que nous découvrions le pays. Quant à moi, je continue de retourner en Turquie chaque année, non seulement pour rendre visite à ma famille, mais aussi pour approfondir ma connaissance du pays.

Je trouve que les Turcs vivant en Turquie sont souvent plus avancés que ceux qui résident ici. Par exemple, en Turquie, filles et garçons se saluent souvent par deux bises. C’est beaucoup moins courant ici entre Turcs, et cela a surpris mon mari Serhat. À la maison, nous parlions turc avec nos parents, mais entre frères et sœurs, c’était toujours le français. C’est une richesse de vivre deux cultures. Mon père achetait chaque semaine le journal turc. Avec ma maman, nous faisions les mots croisés, ce qui nous permettait d’affiner notre connaissance de la langue et d’élargir nos connaissances.

Je suis pleinement intégrée dans la société belge, notamment grâce à mon travail et à mes enfants. J’aime participer aux activités de l’école, aux événements organisés au travail ou aux fêtes. Cependant, je garde un fort attachement à ma culture familiale et à ma religion. Cela fait partie de mon identité. Savoir qui l’on est et d’où l’on vient nous aide à avancer. Pour ma part, je choisis ce qui me rend heureuse, ainsi que mes enfants. Parfois, on me dit que je ne suis pas comme les autres. Personnellement, je pense qu’il n’est pas nécessaire de complimenter quelqu’un en le comparant aux autres, mais cela ne me dérange pas.

Je constate aussi que beaucoup de jeunes d’origine turque, et plus généralement tous les jeunes, semblent être moins responsables que nous. Il leur manque souvent le sens des responsabilités. Beaucoup de jeunes rencontrent des difficultés d’insertion sociale.

Les discriminations existent, et j’en suis bien consciente, mais je pense que ce problème ne peut être expliqué uniquement par ces différences. Il y a une crise générale dans tous les pays qui accentue les difficultés d’insertion. Bien qu’on forme des travailleurs et des jeunes, il serait essentiel de former aussi les dirigeants d’entreprises, les cadres, les enseignants et les politiques pour inverser cette tendance. Bien sûr, il est courant pour les parents de rêver que leurs enfants deviendront médecins ou avocats, mais la vraie différence ne réside pas dans le diplôme. C’est plutôt le rapport au travail qui compte. Mes parents ont toujours soutenu nos choix, en tenant compte de ce que nous voulions faire. Pour moi, c’est peut-être cela l’essentiel pour un enfant : pouvoir choisir ce qu’il veut faire dans la vie.

 

L’ensemble des photos et témoignages sont également repris dans l’ouvrage « Accords au présent », édité chez Couleur Livres.




Photo 18 : Tolga Karaçinar

Tolga KARAÇINAR

 

photo Karaçinar

“Je connais les rituels catholiques et le catéchisme. Les religions m’intéressent. Ça ne m’a jamais posé problème, j’allais aussi au cours de religion à la mosquée.”

“Ristorante Passione”, 9 novembre 2024, Namur, Bouge.

Témoignage :

Je suis né à Virton en 1991, fils d’un ouvrier et d’une mère au foyer, tous deux turcs de deuxième génération. Ma famille est originaire du village de Kemerkaya, près de la ville d’Afyonkarahisar. Vers 1965, mon grand-père paternel s’est installé en Allemagne. Il y a fait venir sa femme et une partie de ses enfants. À l’âge de vingt-et-un ans, mon père, resté en Turquie, est venu épouser ma mère à Virton, d’où elle est originaire. Après avoir passé quelques années là-bas, mon père a trouvé un emploi à Namur. Nous nous y sommes installés. J’avais alors trois ans.

J’ai grandi en connaissant la vie à l’école et la vie en famille, en communauté. Dans ma vie de tous les jours, je vis comme un belge mais je reste fort attaché à mes origines. Ma langue maternelle est le turc, j’ai appris le français à l’école. Ma maman parle le turc et le français comme moi. On parlait turc à la maison. Maintenant je parle le français avec ma femme et ma fille. Je n’ai pas d’accent quand je parle turc, mais je constate qu’il y a beaucoup de gens de ma génération qui le parlent moins bien que moi.

Avec mes parents, nous retournions chaque année en Turquie. Je le fais maintenant moi aussi. Les gens du village savent qu’on vit depuis longtemps en Europe. Là-bas, on est étrangers sans l’être. Comme on est étrangers en Belgique, sans l’être. C’est la même histoire des deux côtés. Là-bas, certains pensent qu’on est riches, mais ils ne se rendent pas compte du travail qu’il y a derrière.

La différence entre mes parents et nous, c’est que nous, on est nés ici et on est donc belges automatiquement. On n’a pas vécu directement leur déracinement. Le mien, c’est l’emménagement à Namur (sourire).

En Belgique, personnellement, je n’ai pas souffert du tout du racisme. Peut-être une fois ou deux, à l’école notamment, mais ce sont des choses qui me passent au-dessus de la tête. Je peux comprendre certaines personnes. Il y a un repli communautaire, même dans les écoles. Et aussi chez les jeunes qui n’ont pas fait d’études supérieures, surtout à Bruxelles. Moi, j’ai toujours été entouré d’amis belges. J’ai même suivi le cours de religion. Je connais les rituels catholiques et le catéchisme. Les religions m’intéressent. Ça ne m’a jamais posé problème, j’allais aussi au cours de religion à la mosquée. C’était plus facile pour mes copains de m’accepter, parce que j’ai grandi avec eux. Ils ont tous fait des études comme moi. J’ai fait les miennes à Namur, à Notre-Dame, puis j’ai étudié le marketing à l’Henallux.

Mon épouse est d’origine sicilienne. Nous avons une fille de huit ans, Elif. Comme ma femme travaillait depuis longtemps dans l’horeca, nous avons ouvert ce “Ristorante Passione” en 2021. Notre fille fait partie de la quatrième génération et se partage entre trois cultures : italienne, turque et belge. Ses origines sont très présentes dans sa vie, elle va régulièrement en Sicile ou en Turquie, avec nous ou seule parfois. Elle ne se sent étrangère dans aucun de ces trois pays.

Moi je m’ennuie dans les mariages, il y trop de monde ! Ça, c’est mon côté européen, on va dire. Je ne suis pas asocial, je sais créer des liens sans parler avec tout le monde.

J’aime être en famille, j’aime beaucoup la famille, les valeurs de la famille, c’est ce qui m’importe le plus. Mes grands-parents sont encore à Virton et j’ai toujours ma grand-mère, des oncles et des tantes, des cousins et des cousines en Allemagne. J’aime les jours de fêtes, religieuses surtout.

C’est très bizarre, parce que je suis très attaché à mon pays d’origine, mais mes valeurs européennes, le rapport au travail, ma vie quotidienne sont différents. Je suis quelqu’un de carré, c’est aussi mon côté européen. J’aime l’Allemagne. J’aurais tellement voulu y vivre. En Belgique, c’est lent, les gens ne bougent pas.

Et donc quand je suis en Turquie, et parfois même en Belgique, je ne me sens pas chez moi. Quand on me demande si je pourrais retourner définitivement en Turquie, si je pourrais y vivre, je réponds que si on a de l’argent, on peut en effet bien y vivre. Mes grands-parents n’y retourneront jamais définitivement. Ils se sont habitués à certains aspects de la vie en Europe. Ils seront toutefois enterrés à Kermekaya, près d’Emirdağ, tout comme moi.

Parmi les Turcs de Belgique, il y des gens à la mentalité arriérée et d’autres très progressistes. Plus encore que moi. Je suis ancré dans le traditionalisme et en même temps ouvert d’esprit. C’est à nous de nous intégrer si on ne veut pas être discriminé. Il faut prendre les choses comme elles viennent, sans se poser trop de questions, et vivre, tout simplement.

L’ensemble des photos et témoignages sont également repris dans l’ouvrage « Accords au présent », édité chez Couleur Livres.




Photo 17 : Süleyman Eryürük

Süleyman ERYÜRÜK

 

photo Eryürük

“Le truc, c’est qu’on est étrangers partout.”

Centre culturel turc, 15 octobre 2024, Namur.

 

Témoignage :

Je m’appelle Süleyman Eryürük et j’ai vingt-sept ans. Je suis issu de la troisième génération d’immigration d’une famille turque. Depuis fin 2023, je suis assistant chirurgien à l’hôpital de Delémont en Suisse. Après mes secondaires, j’ai entrepris des études de médecine aux facs de Namur. Mais l’année où j’ai commencé, ils ont instauré un numerus clausus. Je n’ai pas été classé, deux fois de suite. Je veux devenir médecin depuis l’âge de six ans, il n’était pas question que j’abandonne mon projet. J’ai appris que beaucoup de jeunes allaient étudier la médecine en Roumanie, à l’Université de médecine et de pharmacie de Timişoara. J’y ai passé six ans et j’ai obtenu mon diplôme en septembre 2023.

Mon père prône le respect familial. Le parent est protecteur mais il ne peut pas imposer le choix d’un métier à un enfant… Si j’avais voulu travailler dans la construction, mon père m’aurait permis de faire ce que je voulais, pour autant que je préserve ma qualité de vie.

Je fais beaucoup de choses en plus de mon travail. Je peins… C’est ce qui me permettait de me détendre un peu pendant mes études. De simple hobby, la peinture est devenue par la suite un projet plus sérieux. Je vends mes œuvres, j’expose mes tableaux abstraits. J’ai même un site (seartstudio.com).

C’est mon grand-père maternel qui est arrivé le premier en Belgique, en 1969. Mon papa est né en Turquie. Il est venu en Belgique en 1995, il travaille dans le terrassement. Ma maman est née dans la région namuroise à Saint-Marc. Moi, je suis né ici.

Ce que mes origines m’ont transmis, ce sont les valeurs familiales. Le respect parental. Je pense que c’est le plus important. Je n’aurais jamais pu faire de telles études si je n’avais pas eu l’aide de mes parents, financièrement et psychologiquement. Je connais plusieurs personnes, de ma génération ou de celle de mes parents, qui n’ont pas eu la même chance que moi, tout simplement parce que leurs parents ne voulaient pas ou ne pouvaient pas les aider. Si on se réfère aux soixante ans de l’anniversaire migratoire, dans le contexte, je suis aussi un migrant pauvre.

Un autre legs de mes origines, c’est peut-être la débrouillardise, le fait d’oser. Donc plutôt l’audace, en fait. Je crois qu’il faut oser. Et je crois que, ça aussi, ça m’a été transmis. Quitter sa terre natale c’est une expérience qui demande de l’audace. Pour mon grand-père maternel, ce fut le saut dans l’inconnu. Mais pour moi, plus qu’un déracinement, c’est un enrichissement.

Ce qui me relie à mon pays actuellement, c’est la famille. Ce sont les parents et les grands-parents, mes attaches profondes. Dans mon enfance, à la maison en Belgique, je retrouvais des traces de la Turquie : la nourriture, la télévision, les événements aussi, comme les mariages…

Je retourne presque chaque année en Anatolie centrale. C’est un peu la maison, c’est de là que tout le monde est sorti. Un retour aux sources. Tu sais que là-bas, tu es chez toi. Je parle turc, mais avec un accent, et là-bas, les gens se demandent pourquoi je parle comme ça, d’où je viens.

Je n’ai pas le projet d’aller vivre là-bas. Si mes grands-parents sont partis de Turquie, ce n’est pas pour qu’à un moment, moi j’y retourne. Si j’y retournais, ça ferait s’effondrer tout le projet. Et puis, dans mon cas, c’est un peu différent, parce que je suis aussi issu de la Belgique. Mon optique c’est : plus je vois, plus je m’enrichis. Je sais que j’ai mes racines en Belgique mais que mes racines turques sont aussi prévalentes.

J’ai trouvé ma place dans la société : être médecin, c’est occuper une place particulière. Il y a du respect mais ce n’est pas ça que je cherchais. À Delémont, dans la rue et dans les magasins, ce n’est pas le médecin que les gens reconnaissent, mais l’humain que je suis. Je suis très sociable et c’est ce côté que les gens apprécient.

Évidemment, j’ai connu des moments plus heureux que d’autres liés à mes origines. Le truc, c’est qu’on est étrangers partout. Malheureusement, en Turquie, tu es le Belge. En Belgique, tu es le Turc. En Suisse, le Belge ou le Turc. En Roumanie, j’étais le Turc qui venait de Belgique. Donc, voilà. Ici on est quelqu’un, là-bas quelqu’un d’autre, et puis après on se demande qui on est vraiment. C’est aussi pour cela que je n’envisage pas d’aller vivre en Turquie. On n’appartient pas vraiment à un endroit, c’est à toi de créer où tu veux être. C’est l’endroit où tu fais ta maison, où tu te sens à la maison. Moi je dis qu’on n’a pas de domicile fixe.

Quand on meurt, on rentre en Turquie. C’est le seul retour à domicile définitif. Il y a un cimetière turc à Namur, mais il est peu utilisé ; c’est encore nouveau, les mentalités doivent encore changer. Je sais que mes grands-parents et mes parents seront enterrés en Turquie parce qu’ici, ils tomberont vite dans l’oubli. En Turquie, il y aura toujours quelqu’un qui passera devant leurs sépultures et qui dira peut-être une prière en leurs noms. Là-bas, le respect des morts, le lien aux morts est différent. Je comprends cela mais moi, en tant que médecin, scientifiquement parlant, que je sois là-bas ou ici, je considère que c’est la même terre…

Je vais sans doute rester encore quelque temps en Suisse puis je vais reprendre ma recherche constante. Je n’ai pas peur d’aller vers l’inconnu. Il y a tellement à découvrir dans le monde pour se découvrir soi-même. On se limite beaucoup trop.

Aux jeunes d’origine turque qui vivent ici et qui auraient du mal à trouver leur place, je dirais : “Allez-y, jusqu’à vous sentir bien”. Soyez en recherche constant parce qu’il y a bien un moment où vous allez, je pense, ressentir ce sentiment de sérénité.

L’ensemble des photos et témoignages sont également repris dans l’ouvrage « Accords au présent », édité chez Couleur Livres.