Ulger
“J’aime participer aux activités de l’école, aux événements organisés au travail ou aux fêtes. Cependant, je garde un fort attachement à ma culture familiale et à ma religion.
Cela fait partie de mon identité.”
Centre d’action interculturelle, 27 décembre 2024, Namur.
Témoignage :
Je suis la fille de Musa, mon père, qui est aujourd’hui à mes côtés. Ma sœur, mon petit frère et surtout ma maman occupent une place précieuse dans ma vie. J’ai quarante-et-un ans et je suis mère de deux enfants : Havva, onze ans, et Göktug, un an. J’ai suivi des études d’éducatrice, et pendant quinze ans, j’ai exercé en tant que médiatrice interculturelle, notamment au CAI. Actuellement, je travaille comme collaboratrice à l’administration du personnel au CHRSM (Centre hospitalier régional Sambre et Meuse) à Namur.
Mon grand-père paternel est arrivé à Namur en 1966, avec pour objectif de soutenir financièrement sa famille restée en Turquie. Trois ans plus tard, mon père l’a rejoint. Il avait dix-sept ans. Il a effectué une année d’études techniques avant de se lancer dans le secteur de la menuiserie. Entre 1972 et 1974, il est rentré en Turquie pour accomplir son service militaire, avant de revenir à Namur. Il a ensuite poursuivi une longue et enrichissante carrière, notamment en tant que chef d’équipe chez Châssis Norma. Il vit à Salzinnes.
De mon côté, je suis arrivée à Namur en 1984 avec ma mère et mon grand frère. Malgré une offre de travail en Turquie, mon père a choisi de nous installer définitivement ici et nous a fait venir auprès de lui. Ma petite sœur et mon petit frère sont nés à Namur.
Le parcours de mon mari est assez différent. Nous nous sommes mariés en Turquie en août 2008. Serhat a ensuite emménagé en Belgique avec moi, mais il a eu quelques difficultés à s’adapter au climat et à la mentalité générale.
Les immigrés turcs qui vivent ici viennent principalement d’Emirdağ, bien que de nombreuses familles, comme la mienne, viennent plutôt d’Anatolie centrale. Je suis originaire de Yozgat. En famille, nous allions en Turquie tous les trois ou quatre ans. Bien qu’à ces occasions, la famille nous sollicitait beaucoup, mes parents ont toujours voulu que nous découvrions le pays. Quant à moi, je continue de retourner en Turquie chaque année, non seulement pour rendre visite à ma famille, mais aussi pour approfondir ma connaissance du pays.
Je trouve que les Turcs vivant en Turquie sont souvent plus avancés que ceux qui résident ici. Par exemple, en Turquie, filles et garçons se saluent souvent par deux bises. C’est beaucoup moins courant ici entre Turcs, et cela a surpris mon mari Serhat. À la maison, nous parlions turc avec nos parents, mais entre frères et sœurs, c’était toujours le français. C’est une richesse de vivre deux cultures. Mon père achetait chaque semaine le journal turc. Avec ma maman, nous faisions les mots croisés, ce qui nous permettait d’affiner notre connaissance de la langue et d’élargir nos connaissances.
Je suis pleinement intégrée dans la société belge, notamment grâce à mon travail et à mes enfants. J’aime participer aux activités de l’école, aux événements organisés au travail ou aux fêtes. Cependant, je garde un fort attachement à ma culture familiale et à ma religion. Cela fait partie de mon identité. Savoir qui l’on est et d’où l’on vient nous aide à avancer. Pour ma part, je choisis ce qui me rend heureuse, ainsi que mes enfants. Parfois, on me dit que je ne suis pas comme les autres. Personnellement, je pense qu’il n’est pas nécessaire de complimenter quelqu’un en le comparant aux autres, mais cela ne me dérange pas.
Je constate aussi que beaucoup de jeunes d’origine turque, et plus généralement tous les jeunes, semblent être moins responsables que nous. Il leur manque souvent le sens des responsabilités. Beaucoup de jeunes rencontrent des difficultés d’insertion sociale.
Les discriminations existent, et j’en suis bien consciente, mais je pense que ce problème ne peut être expliqué uniquement par ces différences. Il y a une crise générale dans tous les pays qui accentue les difficultés d’insertion. Bien qu’on forme des travailleurs et des jeunes, il serait essentiel de former aussi les dirigeants d’entreprises, les cadres, les enseignants et les politiques pour inverser cette tendance. Bien sûr, il est courant pour les parents de rêver que leurs enfants deviendront médecins ou avocats, mais la vraie différence ne réside pas dans le diplôme. C’est plutôt le rapport au travail qui compte. Mes parents ont toujours soutenu nos choix, en tenant compte de ce que nous voulions faire. Pour moi, c’est peut-être cela l’essentiel pour un enfant : pouvoir choisir ce qu’il veut faire dans la vie.

L’ensemble des photos et témoignages sont également repris dans l’ouvrage « Accords au présent », édité chez Couleur Livres.