Zakkaoui
“Je me suis alors souvenu de mon arrivée en 2001, sans rien dans les poches.
Aujourd’hui je suis Belgo-Marocain.”
“Aux Délices de Namur”, boulangerie-pâtisserie ,13 décembre 2024, Namur.
Témoignage :
Je m’appelle Fouad Zakkaoui, j’ai quarante-huit ans. Je suis né et j’ai passé toute mon enfance et ma jeunesse à Casablanca où mon père avait un commerce. J’ai entamé une formation en école hôtelière que je n’ai pas terminée, et en même temps, je jouais au football dans une équipe junior, à un niveau élevé.
En 2001, je suis venu en Belgique pour la première fois pour un tournoi de foot dans la région de Charleroi. J’ai décidé de ne pas rentrer au Maroc, sans prévenir mes parents, sans leur dire au revoir. C’était une décision improvisée. Je voulais vivre ici pour la qualité de vie. Des gens du milieu du football et d’autres m’ont bien aidé. Je n’avais pas de papiers en règle, je parlais juste un peu le français et je n’avais que quelques billets d’argent français sur moi. Ici c’étaient encore des francs belges. J’étais seul dans un pays où il fait le plus souvent froid et gris.
Mon père est mort en 2002, je n’ai pas pu rentrer à cause de mon statut irrégulier. Pendant deux ans, j’ai habité dans des tas d’endroits différents : chez des amis, à l’hôtel… Ça ne favorise pas les relations sociales avec d’autres personnes que des amis proches. Mais à l’époque, l’ambiance générale était plutôt sereine, les gens accueillants et sympas.
J’ai d’abord eu l’idée d’ouvrir une boulangerie-pâtisserie à Charleroi. Récemment, en 2023, j’en ai ouvert une autre chaussée de Waterloo à Namur, après un an de travaux. Idéalement, j’aurais préféré ouvrir dans le centre. J’y propose des pâtisseries belges et orientales. Il n’y avait pas encore de boutiques de ce genre à Namur. Comme je n’ai pas trouvé de logement à loyer raisonnable à Namur, j’habite toujours à Charleroi.
J’ai été heureux d’obtenir la nationalité belge. Je crois que c’était en 2014. Il n’y avait pas de gouvernement cette année-là et les démarches administratives étaient ralenties. Je me suis alors souvenu de mon arrivée en 2001, sans rien dans les poches. Aujourd’hui, je suis Belgo-Marocain.
La vie est facile ici. On ne laisse pas les gens crever de faim. Pendant le Covid-19, il y a eu beaucoup d’aides. Les agents de l’administration sont aimables et corrects.
Avant le Covid-19, je retournais au Maroc tous les ans. Depuis, je n’y suis plus allé, d’abord parce que je n’étais pas vacciné, ensuite parce que j’étais pris par le travail. Là-bas, les gens remarquaient ma voiture, constataient que j’étais marié, que j’avais des enfants, et ils pensaient que j’avais de l’argent. Par contre, ma famille a toujours été la même avec moi. Je n’ai pas changé.
Le Maroc s’est transformé aujourd’hui. C’est un pays ouvert sur le monde. Il y a des gens qui viennent de partout. C’est beaucoup plus ouvert pour les Européens.
Je me sens bien ici, mais aujourd’hui, les gens sont plus méfiants, même dans la communauté marocaine. La société est plus violente, il y a beaucoup de vols, la police est méfiante. Avant, on immigrait uniquement pour venir travailler.
Depuis 2010, il y a des problèmes avec les jeunes Marocains de la troisième génération. Avec tous les jeunes, en fait. Je pense que c’est aux parents de régler ça. Il faut qu’ils parlent à leurs enfants, filles ou garçons. C’est à eux de les cadrer, de les diriger et de leur dire de respecter les gens. Aux jeunes Marocains, mais aussi à tous les autres, je dirais d’écouter les adultes, de s’occuper et de faire du sport.
Je ne changerais rien à ma vie, sauf peut-être ma profession : je n’ai pas d’horaire, nous sommes toujours ouverts et je travaille la nuit pour être prêt dès le matin.

L’ensemble des photos et témoignages sont également repris dans l’ouvrage « Accords au présent », édité chez Couleur Livres.