El Arbaoui

 

photo El Arbaoui

“Je conseille avant tout aux jeunes de faire le point, de se poser les bonnes questions.

Pourquoi en sont-ils là ?

Qu’est-ce qui ne va pas chez eux et qui marche chez les autres ?”

Grand-Place, janvier 2025, Auvelais.

Témoignage :

Je suis né dans la région de Sambreville le 10 juillet 1980. Je suis marié depuis dix-sept ans. Ma femme et moi nous avons deux garçons âgés de neuf ans et six ans qui fréquentent l’école communale. Quand je l’ai rencontrée, ma femme vivait avec ses parents à Moignelée. Elle est de la seconde génération, sa famille est originaire du centre du Maroc. Mes parents connaissaient les siens ; c’est ainsi que nous nous sommes rencontrés.

Moi, je suis de la troisième génération. Mon grand-père Ahmed – paix à son âme – est arrivé le premier en Belgique en 1966 pour travailler dans les mines de Farciennes. Il était originaire de Nador, une grande ville du Rif oriental.

À dix ans, mon père l’a rejoint avec ses frères et ma maman. Il a poursuivi sa scolarité ici et il a décroché un diplôme de soudeur. Pendant des années, il a exercé ce métier au Roton à Farciennes. Puis il a suivi des cours du soir pour y travailler comme mécanicien et il a fini par obtenir un poste de direction, toujours au Roton. Après la fermeture de l’entreprise, il a dirigé une carrière du côté de Liège pendant une quinzaine d’années.

Lorsqu’il a pris sa retraite en 2013, il occupait une fonction de direction chez Béton PMN à Namur, où je travaillais moi aussi depuis 2004. Je m’occupais de la centrale à béton et du planning des camions toupies. C’était intense mais je ne me voyais pas faire ça toute ma vie. J’ai repris des cours du soir de bachelier en génie civil, à l’école des cadets de Namur. J’étais motivé parce que, quand j’étais adolescent, au lieu de suivre le conseil qu’on m’avait donné, je n’avais pas terminé mon graduat en électromécanique ; j’avais laissé tomber. Une folie ! J’étais inconscient, j’aimais faire la fête. Mon père me disait : “Farid, tu es à la maison, profites-en. Tu n’as rien à payer”. J’étais vraiment stupide. Quand j’ai repris les cours du soir, j’étais déjà marié. Pendant cinq ans, cela n’a pas été facile. Mon diplôme de bachelier en génie civil m’a permis de devenir directeur-adjoint chez BPMN en 2017 après des négociations serrées avec les nouveaux repreneurs.

Un de mes plus heureux souvenirs, c’est certainement le jour de notre mariage, ici à la commune. Parmi les plus malheureux, il y a le décès de mon oncle maternel.

Je suis Belgo-Marocain. Je le dis dans cet ordre parce que la Belgique est mon pays natal, c’est ici que je vis avec ma famille. Je suis totalement intégré en Belgique. Mon parcours de vie en général n’est pas différent de celui d’un Belgo-Belge, sauf peut-être mon rapport à la religion et à la nourriture. Je me sens profondément musulman et je prie souvent.

Au travail, rien ne me différencie des autres. Je fais mes prières quotidiennes, mais pas au travail. Je les fais en rentrant chez moi. Je suis attentif à vivre ma religion en dehors de mes activités professionnelles.

Je veille à l’éducation de mes enfants. En ce moment, ils sont à la mosquée. Ils suivent aussi des cours d’arabe classique le samedi et le dimanche. Quand j’étais jeune, à la maison, nous parlions un dialecte berbère. Je ne connaissais par l’arabe fusha (arabe classique). Mes parents m’ont envoyé l’apprendre dès mes six ans.

Dans mon enfance, ma relation avec le Maroc a été rythmée par les retours annuels au pays et les retrouvailles avec notre famille. Quand je suis au Maroc, les gens remarquent tout de suite à ma façon de m’habiller ou à mon accent que je suis Européen. Maintenant, avec ma petite famille, nous y retournons tous les deux ou trois ans. On aime voyager, voir d’autres pays, découvrir d’autres coutumes.

Avec ma femme, nous nous sommes dit tout de suite que nous retournerions bien sûr au Maroc mais que nous voyagerions aussi ailleurs. Nous sommes allés en Italie, en Espagne, en Tunisie. Notre premier voyage, en 2010, avant d’avoir nos enfants, c’était en Turquie. Trois mille kilomètres en voiture. On dormait chez les gens, comme dans l’émission “J’irai dormir chez vous” d’Antoine de Maximy. Nous parlions anglais avec eux et nous avons été merveilleusement reçus. Le fait d’être musulmans et d’origine marocaine a sans doute été un plus. Je me sentais chez moi. On y est retournés avec les enfants, mais cette fois-là, nous avons logé dans des hôtels.

Je suis fier de mon parcours. Et cette fierté-là, je la dois à mes parents. Sans eux, je ne serais pas là où je suis maintenant. Ils m’ont bien éduqué, ils sont le sang de la vie. J’étais un peu “fou-fou”, et heureusement pour moi, mon père, qui était adorable, était aussi très strict. Dans le Coran, il est écrit que le paradis se trouve sous les pieds de la maman. Et qu’on aura beau lui offrir tout l’or du monde, ça ne remboursera jamais ce qu’elle nous a donné.

S’il y a des jeunes de la troisième ou quatrième génération qui connaissent des difficultés aujourd’hui, c’est parce qu’ils ne veulent pas s’intégrer. Ils peuvent bénéficier de la meilleure éducation ; s’ils n’en tiennent pas compte et ne respectent pas leurs parents, c’est de leur responsabilité. Le problème est individuel. Leur mal-être dépend d’eux. Ils prennent l’excuse du racisme, mais pour moi, il n’y a pas de racisme. Je pourrais parler des remarques parfois entendues en rapport avec mes origines mais avec l’âge, on s’assagit. J’ai appris à les prendre au second degré, à… comment dire, à classer ce genre de remarques dans le registre de l’ignorance.

Je conseille avant tout aux jeunes de faire le point et de se poser les bonnes questions. Pourquoi en sont-ils là ? Qu’est-ce qui ne va pas chez eux et qui marche chez les autres ? Ils doivent aussi tenir compte de leurs fréquentations. Je pense que si des parents ont lâché prise, c’est qu’ils n’en pouvaient plus.

Les jeunes font partie de la solution à leurs problèmes. Moi j’étais motivé et acharné, j’avais la volonté de réussir dans la vie. J’ai fini par écouter mes parents. Mon père n’était pas ingénieur mais son parcours était un exemple. Il voulait qu’on ait une meilleure vie que la sienne. Moi aussi, je veux que mes enfants vivent encore mieux que moi. Je leur donnerai tout ce que j’ai, tous les moyens, je leur donnerai tout ce que j’ai dans mon cœur.

Je reste Marocain tout en étant Belge. On doit apprendre à nos enfants à rester ouverts et à s’intéresser à tout.

L’ensemble des photos et témoignages sont également repris dans l’ouvrage « Accords au présent », édité chez Couleur Livres.

image_pdfimage_print