Bazouze
“Il y a de plus en plus de gens qui ne croient plus.
Des jeunes délinquants font des choses qui ne sont pas permises par l’Islam et qui ont des conséquences.
C’est un problème de société.”
31 octobre 2024, Jemeppe-sur-Sambre.
Témoignage :
Je m’appelle Latifa Bazouze, j’ai cinquante-trois ans. J’ai trois filles de vingt-sept, vingt-quatre et vingt-deux ans. Je suis née en Belgique, à Auvelais. L’hôpital était tout neuf, j’étais le troisième bébé à y naître. La première dame qui y a accouché a reçu une poussette, la deuxième un cadeau et ma mère, rien. Un jour, j’ai raconté ça à une de mes cousines et je lui ai dit : “Tu vois, ma vie s’est résumée à des occasions manquées”.
J’ai mon Certificat d’enseignement secondaire supérieur et un diplôme de décoratrice d’intérieur de l’IFAPME. J’aime réaliser des décors, des collages, mais je ne travaille pas dans ce domaine-là. J’ai eu un contrat temporaire aux Petits Riens. Actuellement, je cherche du travail, même en bénévolat.
Je suis très sociable et j’aime rencontrer les gens.
C’est difficile de trouver un emploi. Je suis croyante et voilée, c’est un obstacle. On ne me le dira pas, mais je le sais. On a beau être né ici, il y a toujours… du racisme et on vous fera souvent sentir que vous n’êtes pas vraiment Belge.
Mes parents sont arrivés en Belgique en 1967. Mon père était ouvrier et ma mère femme au foyer. On est dix chez nous. C’est du boulot. Les aînées se sont occupées des plus jeunes. Mes parents sont analphabètes, on s’est toujours débrouillés tout seuls à l’école. À la maison, on parlait le dialecte marocain et à l’école, le français. Il y avait des mots simples que beaucoup utilisaient mais que je ne connaissais pas. On se sent différent, mais ça reste une richesse de connaître deux langues. C’est une ouverture, et c’est plus facile pour apprendre d’autres langues.
J’ai entamé des études de langues à l’École d’interprètes internationaux à Mons. Plus tard, j’ai suivi une formation pour enseigner le “français langue étrangère” (FLE), mais je n’ai pas pu poursuivre car c’était à Bruxelles.
Ce qui différencie mon parcours de vie de celui d’un Belgo-Belge, c’est le faciès. On a beau être né ici, être allé à l’école, parler le français sans accent… Au téléphone, pas de problème, mais dès que vous êtes en face à face, on vous ramène à vos origines. Soit franchement, soit de manière moins directe. “Il faut qu’on s’intègre”, me dit-on. S’intégrer, c’est “rejoindre” un groupe pour y être assimilé. Mais comment puis-je m’intégrer si je fais déjà partie de ce groupe ?
La religion accentue la différence. Quand j’étais jeune, je n’étais pas voilée. Il y avait beaucoup moins de signes religieux en rue. Nos mères n’étaient pas voilées. Et puis nous, en grandissant, on s’est intéressés à l’Islam. Maintenant, il y a beaucoup plus de jeunes qui sont voilées. Ça crée un malaise et ça génère de la peur.
Quand on allait en vacances en Maroc, on était considérés comme des étrangers. On pointait notre accent. Je n’y vais plus beaucoup parce que je n’adhère pas à la mentalité de certains Marocains. C’est entre autres pour ça que j’ai divorcé ! Mon ex-mari est né au Maroc et nous, ici, nous avons une culture et une mentalité différentes. Nous ne pouvions pas nous entendre sur pas mal de sujets. Pourtant, au Maroc, il y a des gens très ouverts. La dernière fois que j’y suis allée, c’était en 2020. Mon père était malade.
Mes dernières vacances là-bas, c’était en 2014. Sinon, je vais en Égypte. Mes filles aimeraient bien aller au Maroc, elles apprécient l’ambiance, l’hospitalité, la convivialité générale et aussi la nourriture. Quand on ne travaille pas on se sent exclu ! En tant qu’enfant d’immigrés, on fait face à beaucoup de préjugés et on nous assimile à une certaine culture. Un jour, sur mon lieu de travail, alors que j’étais en pause à l’extérieur du magasin, assise sur un escalier, une cliente m’a tendu une pièce de monnaie ! Elle pensait que je faisais la manche. Ça m’a fait sourire… Les Belges ne sont pas très ouverts d’esprit, surtout les Wallons. Il y a des pays comme la Grande-Bretagne où les gens sont beaucoup plus ouverts. C’est vrai, je pense que c’est la mentalité du pays qui compte.
Si un jeune d’origine marocaine vit à l’occidentale, mange du porc et boit de l’alcool, on le considère comme intégré, assimilé ! Mais je pense qu’on doit garder nos valeurs, nos principes. Si j’avais des conseils à donner, ce serait aux parents plutôt qu’aux jeunes. C’est à eux d’éduquer leurs enfants. Ce n’est pas le rôle de l’école. Nous devons apprendre à nos enfants à bien se comporter, à avoir du respect, à être polis, et leur inculquer les valeurs universelles.
Le croyant sait qu’il y a une vie après la mort, comme les catholiques. Donc, s’il y a une vie après la mort, ce que vous faites sur terre aura des répercussions sur votre vie après la mort. Il y a de plus en plus de gens qui ne croient plus. Des jeunes délinquants font des choses qui ne sont pas permises par l’Islam et qui ont des conséquences. C’est un problème de société. En France, le fait que la religion doive rester dans le domaine privé, ça ne va plus. On n’est pas musulman que chez soi, on l’est aussi au dehors. Je ne pourrais pas dire à mes enfants de changer de visage hors de la maison… Non. Un musulman, où qu’il soit, doit bien se comporter. Tout le monde, même un athée, doit bien se comporter. Ce sont des valeurs universelles.

L’ensemble des photos et témoignages sont également repris dans l’ouvrage « Accords au présent », édité chez Couleur Livres.